Radio : femmes et kurdistan

Une émission de Vive la Sociale sur Fréquence Paris Plurielle (FPP).

Deux membres du groupe féministe Solidarité femmes Kobané qui s’est rendu en novembre dans le Kurdistan turc confinant avec le Rojava, là où vivent de nombreux réfugiés ayant fui la guerre en Syrie, nous font part de ce que leur ont appris les femmes kurdes qu’elles ont rencontrées là-bas.

La participation des femmes aux combats contre Daesh et leur rôle décisif dans l’organisation du soutien aux réfugiés ne peuvent s’expliquer sans remonter aux formes d’organisation non mixtes qu’elles se sont données depuis longtemps : celles-ci leur ont permis de faire reculer significativement les manifestations de la violence masculine au sein de leur communauté, mais également de prendre part à plein titre aux structures d’organisation à la base mises en place dans cette partie du Kurdistan.

Écoutez l’émission ici.

La révolution sociale se propagera tôt ou tard au Kurdistan turc

Article écrit par Zaher Baher (Haringey Solidarity Group et Forum Anarchist Kurde). Traduit de l’anglais (http://anarkismo.net/article/27623) par Gio (CGA), le 27/11/2014.

Ce qui suit est le compte-rendu de ma visite au Kurdistan du Nord [NdT : Kurdistan en Turquie] entre le 2 et le 8 novembre, au sein de la délégation d’Angleterre organisée par Peace in Kurdistan Campain1, le Parti Démocratique du Peuple (HDP)2 et le Congrès de la Société Démocratique (DTK).

La révolution sociale se propagera tôt ou tard au Kurdistan turc

Ce qui suit est le compte-rendu de ma visite au Kurdistan du Nord [NdT : Kurdistan en Turquie] entre le 2 et le 8 novembre, au sein de la délégation d’Angleterre organisée par Peace in Kurdistan Campain3, le Parti Démocratique du Peuple (HDP)4 et le Congrès de la Société Démocratique (DTK).

Tout au long de cette visite, nous avons eu la chance de rencontrer de nombreuses organisations, y compris des partis politiques, des syndicats locaux et régionaux, les co-maires [NdT : maires adjoints ?] de Diyarbakir et de Suruç, la Coordination de l’Aide Humanitaire aux RéfugiéEs, les représentantes du Mouvement Démocratique Libre des Femmes, l’Association pour les Droits de l’Homme, les représentantEs du Parti des Régions, l’Association du Barreau de Diyarbakir, la Fédération des Familles de DétenuEs et nous avons visité les camps de réfugiéEs et les villages frontaliers proches de Kobanê.

Au cours de ces rencontres, nous avons eu la liberté totale de demander les questions que nous jugions pertinentes à propos de la situation, de leurs responsabilités, de leur façon d’approcher les problèmes qu’ils et elles doivent affronter et à propos de leurs tâches présentes et futures.

Il ne fait aucun doute que chacune des organisations évoquées ci-dessus sont surchargées de travail, à cours de fonds, sans soutien aucun du gouvernement central et doivent assurer l’aide humanitaire nécessaire actuellement. Cette situation est la conséquence des raisons suivantes :

a. La guerre à Kobanê a créé un gros problème dans la région dû à l’impressionnant nombre de réfugiéEs qui affluent, qu’il s’agisse des habitantEs de Kobanê ou des YézidiEsde Shangal (la province du Sinjar). Ce problème est partagé par chacun des groupes et départements évoqués plus tôt.
b. La lenteur du processus de paix entre le PKK et le gouvernement turc, qui est presque arrêté. Cette situation rend bien évidemment les gens énervéEs, frustréEs et les déçoient.

c. La guerre qui continue à Kobanê a fait encore plus de morts et de personnes déplacées, alors qu’il n’y a aucun signe univoque qui indiquerait clairement la défaite de l’EI. Il est désormais prouvé que le gouvernement turc supporte l’EI. Il y a bien des raisons pour manifester, protester et la répression vicieuse de la police aggrave encore plus la situation.

L’observation principale de notre visite est la fragmentation des organisations et la formation récente d’un grande variétés de groupes dans des endroits différents. Si une petite partie des groupes était ancienne, la plupart se sont développés durant les dernières années. Chacun travaille pour faire avancer la société vers la stabilité, la paix, la liberté, la justice sociale et les droits de l’homme.Il y a entre eux quelques signes de coordination.

La plupart de ces groupes se sont formées sur un manque et ont émergés seuls, en dépit de la situation et des volontés du gouvernement central. C’est l’une des raisons pour lesquelles on peut observer des tensions entre eux et le gouvernement. C’est étonnant de remarquer que, alors que la municipalité de Diyarbakir est élue par le peuple kurde, elle n’a aucun contact ni avec le chef de la police ni avec le gouverneur de Diyarbakir. C’est également le cas pour d’autres organisations. Par exemple, quand nous avons demandé à l’Association des Droits de l’Homme s’ils/elles avaient écrit à la police au sujet de leur comportement et des harcèlements qu’elle menait contre la population locale, ils/elles ont répondu qu « il n’y a aucune raison de leur écrire puisqu’ils ne nous répondent jamais ». Il y a de nombreuses écoles kurdes mais l’Etat ne les reconnait pas. Malgré cela, les gens les soutiennent ardemment et sont confiant qu’un jour elles/ils parviendront à forcer l’Etat à les reconnaitre. C’est cela qui est intéressant : les gens défient le pouvoir et l’Etat. Il y a un pouvoir à l’intérieur même des zones d’influence du pouvoir. Il y a un « pouvoir populaire » auquel les gens croient, qu’ils ont construit en dépit du pouvoir effectif de l’Etat, un « pouvoir populaire » auquel ils/elles travaillent et qu’ils ont rendu viable et puissant. C’est la manière qu’elles/ils ont de se ré-approprier le pouvoir accaparé par la minorité, par l’élite. Cependant, il faut noter que ce n’est pas si difficile alors que l’écrasante majorité de la population de ces villes est kurde et croient en ces changements. Voilà comment la révolution sociale part de la base de la société, et non de son sommet.

Après 28 ans de guerre, le PKK a réalisé qu’il fallait modifier l’orientation de leurs luttes, leurs objectifs et leur stratégie. Dans le contraire, leur futur n’aurait pas été meilleur que celui d’autres mouvements similaires.

A mon sens, le PKK, ou du moins la faction ou le groupe dominant au sein du PKK, a pris la bonne décision et la bonne direction en faisant taire les armes et en ouvrant leurs esprits, en passant de la force militaire au pouvoir populaire et de la révolution politique à la révolution sociale. La vague de la révolution sociale est si forte qu’il sera extrêmement difficile pour une personne ou un parti politique qui le souhaiterait d’en changer la direction… Et je ne parle pas de l’arrêter. C’est devenu un trait culturel, une coûtume. Particulièrement pour la jeune génération. Elles/Ils ont réalisé que c’était là la seule façon de défier le pouvoir, de remettre en cause le système et d’aboutir à des changements majeurs.

Les discussions que nous avons eu avec les gens sont univoques : tout le monde est très confiant dans la capacité de changement qui est entre leurs mains. Lors de notre rencontre avec le Mouvement Démocratique Libre des Femmes, il y avait 9 femmes présentes. Elles nous ont raconté comment elles traitaient les problèmes des femmes dans la société, tels que les violences conjugales, le viol et autres agressions sexuelles, comment elles soutiennent les personnes de toutes les manières possibles pour leur donner force et confiance pour affronter leurs propres problèmes. Quelques-unes parlaient de leur propre expérience et expliquaient que depuis qu’elles avaient rejoint le mouvement, elles avaient profondément changé, au point d’être presque une autre personne. Elles prennent part au camp de femmes pour la paix, partagent des missions, discutent de livres qu’elles lisent et travaillent avec la fédération démocratique des femmes de Kobanê. Quand nous leur avons demandé s’il y avait un groupe LGBT à Diyarbakir, elles nous ont répondu : « il y a quelques groupes dans la ville, nous sommes en contact et nous les soutenons ». C’est impressionnant de voir dans une ville comme Diyarbakir qu’il y a un mouvement de femmes composée de personnes tellement courageuses, à l’esprit tellement ouverts et qui construisent réellement la solidarité.

La Fédération des Familles de DétenuEs (Tuhad-FED) est un autre groupe avec lequel nous avons pu passer quelques heures pour discuter. Ce groupe a été formé en 1996 au nez et à la barbe du gouvernement. Il y a 14 bénévoles, dont la moitié sont des femmes qui travaillent sans relâche. La plupart des membres fondateurs et fondatrices du groupe ont une expérience très amère de la vie en prison, où elles/ils ont été torturéEs ou enferméEs sur de longues périodes. Le/La co-président-e5 est encore actuellement en prison. Cette fédération est très active et a des contacts réguliers avec les familles et les parents des détenuEs. Elles/Ils les soutiennent en gardant le contact, en leur trouvant unE avocatE et en finançant les visites des familles pauvres pour aller voir leurs proches en prison.

Ce groupe est en contact avec les différents groupes à l’étranger et localement avec l’Association des Droits de l’Homme (IHD). Durant notre meeting avec l’IHD, elles/ils nous ont confirmé que la police avait arrêté beaucoup de gens dans les manifestations du 6 et du 7 octobre 2014 contre l’autorité turque. C’est à ce moment-là que plusieurs milliers de personnes sont parvenuEs à s’échapper de Kobanê vers la Turquie, contre la volonté du gouvernement. Les manifestantEs protestaient alors contre la politique souterraine de soutien à l’EI menée par l’Etat turc. Le/La président-e de l’IHD6 nous a expliqué que juste 5 minutes avaient notre arrivée, un couple était venu au bureau pour les informer que leurs deux fils, agés de 16 et 17 ans, avaient été enlevé par la police. D’après leurs informations, 42 civils et 2 officiers de police sont morts, quelques 1 128 personnes ont été arrêtées dont 53 enfants. 221 personnes sont encore en prison.

Lors d’une réunion avec la co-présidente de l’un des syndicats qui sont actifs à l’hôpital, elle a confirmé l’arrivé de 128 blesséEs et de quelques personnnes gravement malades à l’hôpital. La police a mené une opération contre les bureaux du syndicat et à l’hôpital pour débusquer toute personne qui aurait été soigné à l’hôpital et qui serait susceptible d’aider les gens à Kobanê. Lorsqu’ils ont découvert la présence de malades et de blesséEs en provenance de Kobanê, ils ont harcelé la présidente du syndicat et d’autres infirmières, les insultant et confisquant leurs papiers d’identité.

Lors de notre réunion avec l’Association du Barreau de Diyarbakir, nous avons rencontré 5 avocatEs. Ils/Elles nous ont dit qu’environ un millier d’avocatEs travaillent avec elles et eux dans la région du Kurdistan sur différents sujets, pour les droits des enfants et des femmes ou dans les centres d’aide légale mis en place par l’Etat. Elles/Ils confirment que le processus de paix n’a pour l’instant apporté aucun changement majeur. Ils/Elles étaient optimistes et considéraient que la situation devrait s’améliorer dans l’année à venir, étant donné que la constitution doit changer. Elles/Ils ont fait remarquer qu’un système de libération sous caution existe mais ne s’applique pas aux personnes qui ont été engagées dans des actes politiques. Celles-ci doivent impérativement être jugéEs par un tribunal. Quand nous leur avons posé des questions à propos d’éventuelles plaintes à faire au sujet du comportement de la police, elles/ils nous ont répondu : « Nous ne pensons que cela vaille la peine de se plaindre. La police n’écoute pas ces doléances et ne changera pas son attitude ».

Ils/Elles ont confirmé que 200 étudiantEs ont été arrêtéEs et que, dans toute la Turquie, quelques 3 à 4000 personnes sont encore en prison. Et ceci en dépit de la constitution qui stipule que personne ne devrait être arrêtéE pour ses activités ou opinions politiques. Cependant, si quelqu’unE appartient à certains groupements politiques ou est arrêtéE en possession d’un drapeau ou d’une pancarte avec des slogans incitant à la haine, il/elle est susceptible d’être arrêtéE.

La détresse des réfugiéEs continue

Depuis la prise de Mossoul, en Irak, par l’Etat Islamique, le génocide des Yézidis et le début de la guerre à Kobanê, la région du Kurdistan en Turquie est submergée de réfugiéEs de Kobanê et de Sinjar. Plus de 100 000 YézidiEs ont fui, beaucoup d’entre elles et eux arrivant au Kurdistan irakien et quelques 18 000 en Turquie. Environ 4 000 d’entre elles et eux sont dans l’un des camps qui bordent la ville de Diyarbakir. Le co-maire de Diyarbakir nous a confirmé qu’aucune aide n’était parvenue des Nations Unies. Les gens de la région se sont collectéEs pour fournir tentes, nourriture et vêtements. Il dit : « 90% des dons et de l’aide fournis aux municipalités de Diyarbakir provient de la population locale et seulement 10% de l’Etat ». Ils nous a expliqué qu’ils/elles travaillent très dur pour satisfaire les besoins vitaux, tels que les tentes, la nourriture, les vêtements, l’eau chaude, l’électricité, l’accès à des douches et des sanitaires, un contrôle médical et des écoles pour les enfants. Il note qu’ils/elles font face à de grosses difficultés puisque tous les services sont assurés par des volontaires. Il n’y a pas assez de monde. Ils/Elles manquent également de personnes qualifiées, de médecins, de lits, d’ambulance, de médicaments. Le gouvernement turc ne les soutient pas pour assurer ces services et tout a été organisé par les municipalités7.

Nous avons également rencontré le Syndicat de l’Anatolie du Sud-Est au sein duquel Gabb est en charge de la coordination de l’aide humanitaire pour les réfugiéEs. Ce groupe réunit 286 membres dont 30% sont des femmes. Ils/Elles élisent 7 personnes qui font partie du comité actif [NdT. active committee, que l’on peut probablement traduire par comité exécutif]. La moitié de leur budget provient des municipalités de la région et ils/elles ont des contacts à l’étranger. Gabb nous a dit qu’elles/ils avaient un programme intensif pour les 3 prochains mois : coordination des camps de réfugiéEs, coordination entre les réfugiéEs de Kobanê et celles et ceux de Shangal mais également travail auprès de la Turquie pour obtenir un soutien humanitaire et des informations. Elles/Ils ont aussi pour objectif de répertorier les personnes dans les camps selon leur genre, leur âge, leur état de santé et d’autres problèmes. Ils/Elles ont confirmé que 9 camps de réfugiéEs sont sous leur supervision, dont 4 sont ceux des YézidiEs de Shangal. Selon leurs dires, environ 6 000 d’entre celles et ceux-ci seraient déjà retournéEs au Kurdistan irakien mais que 96 000 autres sont arrivéEs à Suruç et 2 840 à Mardin.

Nous avons aussi visité le camp de YézidiEs où plus de 4 000 personnes vivent. Les gens s’y plaignent de la qualité de la nourriture, réclament l’eau chaude, des médecins et des infirmièrEs. Ils/Elles nous ont dit qu’à cause du manque de moyens de locomotions, cela prenait 15 jours pour être transféréE vers un hôpital et que les réfugiéEs démuniEs devaient payer pour leur traitement.

A Suruç, nous avons visité le camp de réfugiéEs de Kobanê qui a été installé le 15 septembre 2014. Elles/Ils ont les mêmes équipements que les réfugiéEs de Shangak. Il semble qu’ils/elles vivent dans des conditions raisonnables. On nous a dit qu’il y avait 15 médecins, 20 infirmièrEs et beaucoup d’autres qui les suivaient. Ils/Elles paraissaient plus heureux que les réfugiéEs de Shangal, probablement en raison de plusieurs facteurs :

a. Ils/Elles sont très proches de Kobanê, d’où elles/ils viennent, alors que les YézidiEs sont très loin de Shangal

b. Les réfugiéEs de Kobanê ont le sentiment que le séjour est temporaire et qu’ils/elles retourneront bientôt chez elles et eux. Les gens de Shangal n’ont que peu d’espoir de retour tant que l’EI contrôle leur région.

c. Les réfugiéEs de Kobanê ont eu du temps pour partir de chez elles et eux et certainEs ont pu prendre leurs objets de valeur avec elles et eux. Les YézidiEs, de l’autre côté, ont subi un massacre soudain et ont tout laissé derrière elles et eux. Beaucoup de leurs proches ont été tuéEs, des centaines de femmes ont été kidnappées par l’EI et vendues comme esclaves sexuelles. Leur sort est encore inconnu.

d. Les réfugiéEs de Kobanê sont partiEs alors qu’il y avait encore des gens qui se battaient (et se battent encore) contre l’EI. Les YézidiEs sont amerEs envers les forces de Barzani8 (les peshmergas) : ils nous ont dit que les Peshmergas se sont retirés dès que l’EI a attaqué et qu’ils les ont laissé se faire massacrer9. Le retrait des Peshmergas restent un mystère et personne n’est en mesure d’expliquer si c’est un ordre de Barzani, un accord avec l’EI, le gouvernement turc et Barzani ou quelque chose d’autre. Quand nous en avons parlé aux gens dans le camp des YézidiEs, certainEs ne cachaient pas leur colère et leur frustration contre les Peshmergas de Barzani.

Le gouvernement turc a changé de tactique mais pas de stratégie contre le peuple kurde

Ce qui revient dans toutes les bouches sur place c’est : « Il n’y a eu aucun changement majeur depuis le cessez-le-feu de décembre 2012 »10. La suppression [NdT !? The suppression en anglais… pas compris] et l’oppression continuent, la communauté kurde est encore marginalisée et on peut toujours voir des différences majeures entre les villes turques et les villes kurdes.

Il n’y a pas beaucoup de soutien de la part du gouverneur local ou du gouvernement central aux municipalités qui sont controllées par le peuple kurde. La communauté kurde souffre largement du chômage et des problèmes sanitaires. Les gens vivent encore dans la crainte, pour leur propre sécurité et pour celles de leurs enfants, qui risquent d’être harceléEs, kidnappéEs ou arrêtéEs sans raison.

Il est vrai que le peuple kurde a désormais le contrôle des municipalités et met sur pied de nombreux associations, organisations, groupes et syndicats. Cependant, ils/elles ne reçoivent pas ou très peu d’aide du gouvernement. Il est important de noter que les kurdes ont forcé le destin : le gouvernement turc n’a pas d’autre choix que de faire avec elles et eux. Cette situation est peut-être en partie dûe au fait que le gouvernement espère devenir un membre de l’Union Européenne. Aussi les kurdes en ont profité et se sont émancipéEs de la situation dans laquelle ils/elles étaient contraintEs jusque là. Elles/Ils se préparent à se défendre et à défendre ce qu’elles/ils ont acquis. Il n’est pas question d’arrêter là leur révolution sociale, alors qu’elle ne fait que commencer.

Des choses peuvent arriver mais il faut veiller à ce qu’elles ne fassent pas dérailler la révolution sociale

La situation est très tendue et délicate. Le processus de paix semble avoir fait son temps. Kobanê est encore enserrée, l’EI est toujours une grave menace pour la region et il semble que déboulonner Assad du pouvoir ne fait pas partie des possibilités du moment. Les Etats-Unis et le reste des pays occidentaux ne parviennent pas à établir une politique ou une stratégie claire, à même de vaincre l’EI. Et le gouvernement turc n’est pas sérieux quand il prétend négocier avec le PKK. Tous ces facteurs ont des impacts directs et indirects sur la situation en Turquie.

Cela étant, d’autres facteurs encore plus importants pourraient faire dérailler la révolution sociale :

a. La fin du cessez-le-feu unilatéral par le PKK et le retour à la guerre asymétrique (la guérilla). Ce sera un désastre tant pour la société turque que pour la communauté kurde. Sans aucun doute, cela amènera des morts en plus, de la destruction, des déplacements de populations, attisera les haines entre turcQUEs et kurdes, augmentera la vague de racisme et aura un impact négatif sur l’ensemble de la région, en Irak, en Iran, en Syrie et sur le territoire kurde tout particulièrement.

b. L’attitude des USA et des pays occidentaux, qui traitent le PKK comme une organisation terroriste, n’aide pas dans cette situation. Une telle politique n’apporte rien de bien au peuple kurde et à ses alliés dans la région. Ces pays doivent changer leur attitude à l’égard du PKK, ils doivent comprendre que ce n’est pas la même organisation que celle qu’elle était dans les années 90. Ils devraient considérer le PKK comme la force principale dans la région, et dotée d’une forte popularité. L’organisation a effectivement changé et progressé au cours de ces dernières années. Dans ces conditions, le PKK ne saurait être marginalisé. Les USA et les pays occidentaux devraient forcer le gouvernement turc à ne pas considérer le cessez-le-feu comme quelque chose d’acquis, ils devraient tous se saisir de cette opportunité historique de résoudre ce trop long conflit.

c. Le gouvernement turc entretient avec l’EI et les autres organisations terroristes de la région des relations douteuses. Par exemple, il les utilise dans une guerre par procuration qui pourrait à terme s’avérer très nuisible pour la Turquie elle-même. Le président de la Turquie, Mr Tayyip Erdoğan, et son gouvernement feraient bien d’abandonner leur rêve d’établir un nouvel Empire Ottoman au XXIème siècle pour se concentrer davantage sur les problèmes internes au pays et en particulier sur la question kurde.

d. Il y a une lutte féroce en Turquie entre les généraux de l’armée et les politiciens au sujet du pouvoir. Le processus de paix n’a jamais été dans l’intérêt des généraux de l’armée. Bien que la lutte soit moins patente ces temps-ci, l’intervention dans la région des vieux raisons d’espions, aux côtés des USA et des autres pays occidentaux, pourrait raviver ces tensions et renforcer les généraux, qui pourraient être tentés de refaire un coup d’état [comme cela a déjà été le cas plusieurs fois il y a quelques dizaines d’années, NdT]. Ce n’est évidemment pas dans l’intérêt du processus de paix et de la révolution sociale puisque cela ramènerait les vieillles politiques martiales de terreur, d’oppression et de massacres d’innocentEs. En résumé, le retour à la case départ.

Zaher Baher
Haringey Solidarity Group et Forum Anarchiste Kurde

1. NdT : Campagne pour la paix au Kurdistan

2. NdT : Parti pro-kurde en Turquie, né de l’alliance du BDP (face légale du PKK) et d’une partie de la gauche en Turquie

3. NdT : Campagne pour la paix au Kurdistan

4. NdT : Parti pro-kurde en Turquie, né de l’alliance du BDP (face légale du PKK) et d’une partie de la gauche en Turquie

5. NdT : La version anglaise ne donne aucun indice au sujet du sexe de cette personne.

6. Ibid.

7. La très large majorité des municipalités de cette région sont gouvernées par le BDP, soit par le mouvement civil qui soutient le PKK et la cause kurde.

8. NdT Barzani est à la tête du quasi-Etat kurde irakien (Gouvernement de la Région du Kurdistan). Il est un allié de la Turquie avec qui il commerce son pétrole et des Etats-Unis, qui le voient comme l’une des clés de la stabilité de la région et un excellent appui pour développer leur business… Il s’est hissé et se maintient au pouvoir suite à une sanglante guerre civile contre le parti/clan rival mené par Talabani grâce à la corruption et aux pétrodollars dont il arrose les chefs féodaux. C’est la principale force d’opposition (réactionnaire) contre l’influence du PKK et de ses multiples ramifications sur le territoire kurde, principalement en Irak et dans une moindre mesure en Iran et en Syrie.

9. NdT Cette version est d’ailleurs la seule diffusée, même dans les médias bourgeois occidentaux. Ce sont les milicienNEs des YPG et YPJ (les combattantEs du PYD, le principal parti au Rojava, le Kurdistan syrien, lié au PKK) qui ont ouvert un corridor humanitaire pour les YézidiEs, qui sont alléEs les défendre au Mont Sinjar et qui leur ont permis, avec l’aide d’officiers du PKK, de former leur propre milice d’autodéfense, qui se battent actuellement encore au Mont Sinjar contre l’Etat Islamique…

10. NdT Ce cessez-le-feu est une décision unilatérale du PKK, sous l’influence de son leader toujours emprisonné Abdullah Öcalan. Il se veut une politique d’adoucissement des relations entre le Kurdistan turc et l’autorité centrale turque, mais aussi une inflexion dans les stratégies du PKK, comme l’évoque l’auteur dans ce texte. L’évolution progressive des positions du PKK ces vingt dernières années depuis un marxisme-léninisme orthodoxe et un nationalisme kurde vers des positionnements plus libertaires, critiques du nationalisme, de l’Etat-Nation et de son propre centralisme n’y est pas pour rien. Dans des contextes très différents, notons que de nombreux mouvements armés de libération nationale en Europe ont entamé et/ou achevé des processus similaires ces dernières années : en Irlande, au Pays Basque, en Corse tout récemment…

Radio : Actualité de Murray Bookchin

Murray Bookchin, militant libertaire américain mort en 2006, fondateur de l’écologie sociale et auteur de plusieurs ouvrages, semble redevenir d’actualité. Bien des luttes d’aujourd’hui pourraient en effet se réclamer de cette « écologie sociale » et se nourrir de sa pensée.

Mais en tant que promoteur du « municipalisme libertaire », Bookchin a aussi contribué à l’évolution de la pensée d’Ocalan, et à travers lui à l’évolution vers des positions autogestionnaires du parti kurde PKK. Helen Arnold et Daniel Blanchard, qui ont traduit certains de ses livres et qui l’ont bien connu, nous retracent son parcours de militant et de penseur.

Émission  de radio de « Vive la Sociale » sur FPP à réécouter ici.

Appel féministe en solidarité avec Kobanê

Cet appel est issu du collectif de solidarité avec les femmes de Kobanê, un collectif non-mixte basé à Paris. Vous pouvez retrouver plus d’informations sur leur page facebook Solidarité femmes Kobanê.

Retrouvez également la conférence de presse annonçant le départ d’une délégation féministe pour Kobanê ici, ainsi que les enregistrements de leur intervention de retour de Kobanê lors d’une conférence organisée par le collectif Anarchistes Solidaires.


Kobanê et le peuple de Rojava : les féministes saluent votre détermination et votre résistance armée 

La population de Kobanê est engagée dans un combat contre les attaques des groupes armés de Daesh, dont l’objectif est de faire disparaître l’espoir de l’auto-détermination des peuples de Rojava et un projet social émancipateur et féministe.

Les femmes et les combattantes de Kôbane nous montrent le chemin !

Les femmes de Kobanê s’engagent dans ce combat avec dignité et courage. Si les femmes subissent de graves attaques (viols et enlèvements), elles ne sont pas uniquement des victimes. Elles représentent environ 30 à 40 % des unités de défense multi-ethniques (Kurdes, Arabes, Assyriennes, Chaldéennes, Turkmènes, Arméniennes) et multiconfessionnelles (Musulmanes, Yezidis, Chrétiennes, Juives) qui mènent la résistance contre les attaques de Daesh à Kobanê. Ce sont des combattantes qui défendent les droits de leurs peuples et leurs droits de femmes. Elles n’ont pas attendue la Coalition internationale pour s’organiser.

Nous féministes, sommes fières du combat qu’elles mènent. L’organisation politique de Rojava qu’elles défendent est un combat féministe : présence des femmes à tous les échelons politiques, en tant que co-maire dans toutes les municipalités et comme combattantes dans les unités de défenses du peuple (YPG) ; création de maison des femmes, d’assemblées populaires et d’académies pour les femmes ; création des unités non-mixtes de défense des femmes (YPJ) pour s’organiser contre les violences masculines, et aujourd’hui pour défendre la population contre les attaques de Daesh.

Droit à l’autodétermination du peuple Kurde et des peuples de Rojava ! Non aux projets impérialistes d’occupation !

Dans la région, le peuple Kurde doit faire face à la Turquie, qui a toujours réprimé toutes tentatives d’auto-détermination. La montée en puissance de Daesh a été rendue possible par le régime dictatorial et répressif de Bachar Al Assad, puis par les politiques des Etats-Unis, de l’Europe, des Monarchies du Golf et de la Turquie, qui ont contribué à les armer. « . Ces puissances n’ont aucun intérêt à laisser le peuple de Rojava gagner cette bataille, comme le montre la répression du gouvernement Turque qui arrête, enferme et assassine les militant-e-s qui manifestent leur soutien à Kobanê.

 Nous dénonçons le soutien du gouvernement Hollande au projet de la zone tampon défendue par la Turquie. La zone tampon est récusée par les combattant-e-s de Rojava car c’est une nouvelle tentative d’occupation de l’Ouest Kurdistan. Nous soutenons les combattant-e-s de Rojava dans leur refus d’une intervention des armées impérialistes par voix terrestre, qui, quels que soient leurs noms (« lutte contre la barbarie » ; « mission civilisatrice » ; « défense des femmes ») ne propagent que la guerre et la misère pour les peuples et les femmes, comme en Irak, en Afghanistan, en Palestine, en Centrafrique …

En tant que féministes, nous soutenons la demande des combattan-e-s de Rojava :

des armes sans condition !

Non à la complicité du gouvernement français !

Nous dénonçons la complicité de l’Etat français dans l’agression du peuple kurde. Non seulement le gouvernement français ne soutient pas la résistance du peuple de Rojava ; mais de plus, il a laissé faire l’assassinat de trois militantes Kurdes en plein Paris, en janvier 2013, au su et au vu des services de renseignements français, et, encore aujourd’hui il refuse d’ouvrir les dossiers concernant cette affaire.

 Vive la lutte des femmes ! Vive la solidarité féministe internationaliste !

Nous aussi, nous sommes en lutte contre le capitalisme, contre le racisme, contre l’impérialisme et contre le patriarcat. Nous sommes mobilisées pour les droits des femmes, contre les violences masculines et contre le viol, contre les lois islamophobes, contre les politiques discriminatoires, contre les guerres impérialistes, contre le néo-colonialisme et le sionisme, pour l’auto-détermination des peuples comme pour la Palestine. Les combattantes des YPJ et des YPG défendent une société porteuse d’un projet social et féministe qui remet en cause le patriarcat et l’Etat-Nation, qui défend l’auto-détermination des peuples et l’émancipation des femmes. Aujourd’hui, mobilisons-nous et agissons pour exprimer notre solidarité avec elles ! Les actions et les manifestations de solidarité des féministes du monde entier sont essentielles pour renforcer nos combats communs. La victoire ou la défaite des combattantes à Rojava sera une victoire ou une défaite pour nous, ici, car nos luttes sont liées. En tant que féministes, mobilisons-nous ! Nous refusons toute instrumentalisation de notre solidarité féministe à des fins racistes et islamophobes.

Solidarité féministe avec la résistance des femmes à Kôbane !

Appel à l’initiative de  « Féministes en solidarité avec Kôbanê » : solidaritefemmeskobane@gmail.com

Audio : La lutte des femmes au Kurdistan

Pendant unearton6114-2ffad semaine, en novembre 2014, une mission féministe française a voyagé au Kurdistan turc. Le 28 novembre, au centre social auto-organisé Attiéké (Saint-Denis), des militantes libertaires qui y avaient pris part ont rendu compte de cette mission, de leurs rencontres, et de ce qu’elles ont observé sur place. La soirée était organisée par le collectif Anarchistes solidaires du Rojava.

Près d’une heure de son, découpée en 14 séquences.

Merci à Monique et Serge (Radio libertaire) pour la prise de son.

Les liens audios sont disponibles ici : http://www.alternativelibertaire.org/?Audio-La-lutte-des-femmes-au

Radio : Expériences de luttes au Kurdistan sur FPP

Une émission de radio réalisée dans le cadre de l’émmission La jungle des luttes du Comité de Solidarité avec les Peuples en Lutte du Chiapas (CSPCL), sut Fréquences Paris Plurielles (FPP).

Au cours de cette émmission réalisée avec des membres du Collectif Anarchistes Soldiaires sont abordées les questions liées à la résistance au Rojava, les expériences d’auto-organisation liées au projet de confédéralisme démocratique ainsi que les questions que posent cette résistance et les critiques (constructives) qui peuvent lui être adressées.

L’émmission est disponible ici : http://lajungledesluttes.blogspot.fr/2014/12/novembre-2014-rojava-kobane-kurdes.html

De retour de Kobanê

Du 13 au 16 novembre 2014, une délégation française (AL, NPA, PCF, Feyka) issue de la Coordination nationale solidarité Kurdistan était en mission en Turquie, dans la région frontalière de Kobanê, toujours assiégée par l’État islamique (Daech).

Objectif : exprimer de la solidarité, rapporter des témoignages, tisser des liens militants.

La vidéo ci-dessous a été réalisée dans la foulée.

Entretien – Le Kurdistan, la gauche kurde et l’autogestion

Par Libertaire.Tv

Cem Akbalik, socialiste libertaire kurde, parle de la révolution au Kurdistan syrien, et évoque l’évolution de la gauche kurde — et ses limites — vers les idées autogestionnaires. Se maintenant dans une situation de « ni paix ni guerre » avec le régime de Damas, se défendant à la fois contre les djihadistes de Daech et contre la menace de l’Etat turc, le Kurdistan syrien a proclamé son autonomie le 19 juillet 2012 dans la ville désormais célèbre de Kobanê. En janvier 2014, il s’est doté d’une Constitution (dite « Contrat social ») et a élu sa propre « Auto-administration démocratique » (DSA). Une stratégie de double-pouvoir qui n’est pas nouvelle de la part de la gauche kurde. Un entretien réalisé par Guillaume et Mehdi (AL Montreuil) le 9 octobre 2014.

http://vimeo.com/111751738

Lien d’origine : http://alternativelibertaire.org/?Le-Kurdistan-la-gauche-kurde-et-l

« Nous avons, en substance, développé une démocratie sans État »

Cet interview du co-président du PYD, Saleh Muslim, est repris du site de l’Organisation Communiste Libertaire (OCL).

Au Rojava Une révolution de la vie

« Nous avons, en substance, développé une démocratie sans État »

Interview de Saleh Muslim
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Le 10 novembre 2014

Le dimanche 10 novembre, Saleh Muslim Mohamed, co-président du Parti de l’union démocratique (PYD) représentant les communautés indépendantes du Rojava (Kurdistan de Syrie) et ses branches armées, les Unités de défense du peuple (YPG) et les Unités de défense des femmes (YPJ), a visité les Pays-Bas. Muslim a parlé de la lutte du Rojava contre l’Etat islamique (ISIS) et du développement de l’autonomie démocratique au cours de la révolution du Rojava. L’artiste Jonas Staal l’a ensuite interviewé.

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Jonas Staal : Dans votre conférence d’aujourd’hui, vous avez clairement déclaré que la bataille dans le Rojava ne se résume pas uniquement à la lutte contre l’État islamique (ISIS), et qu’elle est aussi un combat pour une idée politique spécifique : le modèle de l’autonomie démocratique. Quel est exactement ce modèle d’autonomie démocratique qui est au cœur de la révolution du Rojava ?

Saleh Muslim : La raison pour laquelle nous sommes attaqués est à cause du modèle démocratique que nous mettons en place dans notre région. Beaucoup de forces locales et les gouvernements n’aiment pas ces modèles démocratiques alternatifs et ne veulent pas qu’ils se développent dans le Rojava. Ils ont peur de notre système. Nous avons créé, au milieu de la guerre civile en Syrie, trois cantons indépendants de la région de Rojava qui fonctionnent selon un régime démocratique et autonome. Ensemble avec les minorités ethniques et religieuses de la région – Arabes, Turkmènes, Assyriens, Arméniens, chrétiens, Kurdes – nous avons établi par écrit une structure politique collective pour ces cantons autonomes : notre Contrat social.
Nous avons mis en place un Conseil du peuple comprenant 101 personnes représentant toutes les coopératives, les comités et les assemblées qui fonctionnent dans chacun de nos cantons.
Et nous avons établi un modèle de co-présidence – chaque entité politique a toujours à la fois une présidente femme et un président homme – et un quota de 40% de la représentation pour les femmes dans le but de faire respecter l’égalité de genre dans toutes les formes de la vie publique et de la représentation politique.
Nous avons, en substance, développé une démocratie sans État. C’est une alternative unique dans une région accablée durement par un conflit interne entre l’Armée syrienne libre, le régime d’Assad et l’auto-proclamé État islamique.

Une autre façon de se référer à cette notion de confédéralisme démocratique ou d’autonomie démocratique est celle de démocratie radicale : mobiliser les gens pour qu’ils s’organisent eux-mêmes et se défendent eux-mêmes au moyen des armées du peuple comme les Unités de défense du peuple (YPG) et les Unités de défense des femmes (YPJ). Nous mettons en pratique ce modèle de l’autonomie [self-rule, au sens d’autogouvernement] et de l’auto-organisation sans État dont nous parlons. D’autres personnes parleront de l’autonomie en théorie, mais pour nous, cette recherche de l’autonomie est notre révolution au quotidien. Les femmes, les hommes, toutes les catégories de notre société sont désormais organisées. La raison pour laquelle Kobanê tient toujours est parce que nous avons construit ces structures.

JS : Dans votre exposé, les mots ‟démocratie”, ‟liberté” et ‟humanité” reviennent très souvent. Pourriez-vous expliquer ce qui selon vous marque la différence fondamentale entre la démocratie capitaliste et ce que vous venez de décrire comme l’autonomie démocratique ?

SM : Tout le monde sait comment la démocratie capitaliste joue la comédie pour les votes ; les élections sont un jeu. Dans de nombreux endroits, les élections législatives ne sont que de la propagande, ne s’adressant qu’à l’intérêt direct particulier de l’électeur. L’autonomie démocratique se place sur le long terme. Elle a pour objet que les gens comprennent et exercent leurs droits. Que la société devienne politisée : c’est cela qui est au cœur de la construction de l’autonomie démocratique. En Europe, vous trouverez des sociétés qui ne sont pas politisées. Les partis politiques ne visent que la persuasion et les intérêts individuels, pas l’émancipation réelle et la politisation. Une vraie démocratie est basée sur une société politisée. Si vous allez maintenant à Kobanê et que vous rencontrez les combattant-e-s des YPG et des YPJ, vous verrez qu’ils savent exactement pourquoi ils se battent et ce qu’ils se combattent. Ils ne sont pas là pour l’argent ou leurs intérêts. Ils sont là pour des valeurs élémentaires, qu’en même temps, ils mettent en pratique. Il n’y a pas de différence entre ce qu’ils font et ce qu’ils représentent.

JS : Alors, comment peut-on politiser une société à ce niveau de conscience politique ?

SM : Il faut éduquer, vingt-quatre heures par jour, pour apprendre à discuter, pour apprendre à décider collectivement. Vous devez rejeter l’idée qu’il faut attendre qu’un certain chef arrive et dise aux gens ce qu’il y a à faire ; au lieu de cela, il faut apprendre à exercer l’autonomie comme une pratique collective. En traitant les questions quotidiennes qui nous concernent tous : celles-ci doivent être expliquées, critiquées et partagées collectivement. De la géopolitique de la région aux valeurs humanitaires de base, toutes ces questions sont abordées en commun. Il doit y avoir une éducation collective pour que nous sachions qui nous sommes, pourquoi nous sommes confrontés à certains ennemis et ce pourquoi nous nous battons.

JS : Dans une communauté qui est en guerre et confrontée à une crise humanitaire, qui est l’éducateur ?

SM : Les gens eux-mêmes s’éduquent les uns les autres. Lorsque vous mettez dix personnes ensemble et que vous leur demandez une solution à un problème ou que vous leur proposez une question, ils cherchent collectivement une réponse. Je crois que de cette façon ils trouveront la bonne. Cette discussion collective les politisera.

JS : Ce que vous décrivez comme le cœur de l’autonomie démocratique est en substance le modèle de l’assemblée.

SM : Oui, nous avons des assemblées, des comités ; nous avons toutes les structures possible pour exercer l’autonomie dans tous les secteurs de notre société.

JS : Qu’elles sont pour vous les conditions pour qu’une telle expérience démocratique soit en mesure de se mettre en place ?

SM : C’est un processus à long terme. J’ai moi-même été impliqué depuis plusieurs décennies dans ce mouvement, dans cette lutte – j’ai été en prison, j’ai été torturé. Aussi, les gens de ma communauté savent également pourquoi je fais ce que je fais. Je ne suis pas là pour recueillir de l’argent ou des bénéfices personnels. La raison pour laquelle le gouvernement syrien m’a capturé et torturé était que j’éduquais des gens. Et je ne suis qu’une personne ; beaucoup d’amis comme moi ont vécu la même chose. Beaucoup sont devenus des martyrs en mourant à cause des tortures du régime qu’ils ont subi. L’autonomie démocratique n’est pas une idée à réaliser en un jour : c’est une approche, un processus qui prend en expliquant, en éduquant. C’est une révolution qui prend la totalité de nos vies.

JS : Beaucoup d’étudiants, d’intellectuels et d’artistes regardent le Rojava, regardent Kobanê, et reconnaissent que la promesse d’un internationalisme sans État a, d’une certaine manière, trouvé là sa voie de retour dans notre époque. Que dites-vous à ces gens qui ne sont pas dans le Rojava, mais qui voient sa révolution comme un horizon. Que peuvent-ils faire ?

SM : Eh bien, allez à Kobanê. Rencontrez les gens et écoutez-les, comprenez comment ils ont instauré leur modèle politique. Parlez aux YPG, aux YPJ et prenez connaissance de ce qu’ils font ; demandez-leur, rencontrez leur société. Dans un proche avenir, les conditions vous permettront d’y aller, et vous pourrez en apprendre davantage sur le modèle de l’autonomie démocratique qui a été défendu dans les pires conditions imaginables, avec des menaces sur leurs vies, avec le manque de nourriture et d’eau. Allez parler aux gens et vous comprendrez comment et pourquoi ils l’ont fait. Et à quoi ressemble notre société à la suite de ça.

JS : Croyez-vous que l’autonomie démocratique est un modèle qui peut être adopté au niveau mondial ?

SM : Je crois que l’administration démocratique que nous avons mise en place correspond à ce que tout le monde se sent capable de partager, donc oui, c’est un modèle pour le monde. Il y avait beaucoup de préjugés à propos de notre révolution, mais quand des gens de l’extérieur l’ont visité et se sont posés au milieu de nos communautés, ils ont commencé à se rendre compte que l’autonomie démocratique était la bonne chose : nous avons des gens qui ont rejoint notre révolution, même en provenance de Damas. Tout le monde peut venir et voir par soi-même que notre révolution se mène et se réalise tous les jours. C’est une révolution de la vie, et à ce titre, notre lutte est une lutte pour l’humanité.

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Source : http://tenk.cc/2014/11/a-revolution…

Traduction : XYZ / OCLibertaire


Notes :

Le Contrat social du Rojava

http://actukurde.fr/actualites/709/…

Jonas Staal

Jonas Staal (né en 1981) est un artiste plasticien et a étudié l’art monumental à Enschede et à Boston. Il mène actuellement des recherches pour un doctorat sur ‟Art et propagande au XXIème siècle” à l’Université de Leyde. Il est le fondateur de l’organisation artistique et politique New World Summit qui s’est engagée en faveur d’organisations politiques sans État qui se trouvent exclues des processus démocratiques institués. Parmi elles, le Mouvement des femmes kurdes, le mouvement basque pour l’indépendance, le Mouvement de libération nationale de l’Azawad et le Mouvement national démocratique des Philippines ainsi que des avocats, juristes et militants qui se sont battus contre le Patriot Act et ses conséquences.

Le New World Summit

Le New World Summit (NWS) se situe dans le courant critique de l’auto-détermination sociales, de la démocratie radicale et du refus de l’État comme institution de ce principe politique. Le NWS met en discussion et dispute la notion de démocratie, notamment l’abus du ‟démocratisme” dans la justification des visées« expansionnistes militaires et coloniales », notamment la « soi-disant guerre contre le terrorisme. En opposition au démocratisme, le NWS explore le champ de l’art comme espace pour ré-imaginer et agir selon une pratique fondamentale de la démocratie ».

Depuis 2012, le NWS a organisé 4 sommets. Le dernier, en septembre 2014 à Bruxelles, traitait des ‟Etats sans États”, « en invitant des organisations politiques qui luttent pour le droit à l’autodétermination à travers une variété de moyens, ayant comme objectif une forme d’indépendance ou d’autonomie, ou même en renonçant tous ensemble à la notion d’État pour libérer la pratique de la démocratie de l’État. »
« Le New World Summit s’oppose à la notion démocratiste qu’il y aurait quelque chose comme une ‟limite” à la démocratie, parce que la démocratie est soit illimitée, soit elle n’existe pas du tout. L’ordre politique existant est incapable de suivre ce principe car ses intérêts sont largement définis par des intérêts économiques et politiques géopolitiques. Le NWS affirme ainsi que l’art peut être un espace d’imagination radicale ‟plus politique que la politique elle-même”, un espace où la promesse d’une démocratie fondamentale et émancipatrice peut prendre forme. » (extraits de la présentation du NWS sur son site Internet).

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Site Internet du New World Summit : http://www.newworldsummit.eu

Sur Jonas Staal : http://en.wikipedia.org/wiki/Jonas_Staal



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Source : http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1610