Le réseau communiste libertaire international Anarkismo solidaire de la résistance kurde

Depuis quelques années, le mouvement kurde se rapproche des idées libertaires. Même s’il ne s’agit pas d’un mouvement anarchiste, ce changement montre que les idées anarchistes de liberté et d’égalité par la solidarité, nos idées d’horizontalité et de démocratie directe radicale contre l’état sont valides et fortes, mais également nécessaires pour en finir avec l’héritage autoritaire de la gauche dans les mouvements sociaux. Exprimer notre solidarité avec Rojava et le mouvement kurde est de notre responsabilité, parce qu’ils représentent l’espoir dans cette région et parce qu’il s’agit d’une lutte des opprimé-e-s contre les oppresseurs. Les vraies luttes ne sont jamais parfaites mais elles amènent à différentes potentialités de construction d’une société libre. Tout en exprimant notre solidarité avec le mouvement révolutionnaire au Rojava, nous comprenons aussi que notre rôle est de continuer à développer les principes centraux de nos idées pour les partager avec les révolutionnaires du monde entier. Groupe éditorial Anarkismo.net

Journee_mondiale_pour_Kobane-e2fdaLa révolution initiée par nos camarades au Rojava (Kurdistan syrien), issue d’un mouvement beaucoup plus large pour la libération du peuple kurde et, au-delà, de tous les peuples du Moyen-Orient, doit inspirer toutes celles et ceux qui aspirent à une société libre, égalitaire et juste, sans dominants ni dominés.

C’est une expérience de démocratie directe qui jette les bases d’un socialisme libre et autogestionnaire, respectueux de l’environnement et de l’autonomie des peuples. Les socialistes libertaires du monde entier sentent bien que cette révolution est aussi la leur.

Or, aujourd’hui, cette révolution fait face à la triple menace de l’impérialisme, de l’autoritarisme d’État et d’une réaction obscurantistes, fanatique et ultra-conservatrice, née de la décomposition provoquée par l’invasion et l’occupation du Moyen-Orient.

Alors que cette réaction obscurantiste se bat avec des armes obtenues grâce à l’impérialisme, l’armée turque érige une clôture de tanks et de canons, plaçant la population kurde entre le marteau et l’enclume.

Les camarade du Rojava se battent, les armes à la main, dans le cadre d’une large mobilisation populaire contre cette triple menace et ce siège inique, pour défendre ce qu’ils et elles ont acquis par la lutte : l’autonomie et la liberté. Mais ils et elles ne sont pas seuls. Derrière eux, des millions d’hommes et de femmes libres se rassemblent, les soutiennent, et nous nous serrons les coudes dans la lutte pour un monde nouveau, qui déjà grandit dans nos cœurs.

La résistance héroïque menée à Kobanê s’inscrit dans la longue histoire de ceux et celles qui, un jour, ont crié « No Pasarán ! »

De partout dans le monde, nous déclarons que cette lutte est notre lutte. Nous sommes avec vous, prêts à apporter le peu que nous pouvons dans ce combat pour la transformation sociale universelle, plus nécessaire que jamais.

Nous exigeons la fin de la répression, la libération des détenus politiques et des prisonniers de guerre, y compris Abdullah Öcalan, la fin de la criminalisation internationale des révolutionnaires kurdes, et le respect de l’autonomie des communautés qui reprennent leur destin en main.

Nous sommes unis dans la lutte pour l’émancipation de toutes les formes d’oppression et d’exploitation, pour la construction d’une société nouvelle, libertaire et égalitaire. Nous soutenons votre combat révolutionnaire pour abolir la violence de l’État, du capitalisme, de l’impérialisme et du patriarcat.

Solidairement,

Periódico Solidaridad (Chili)
Front de Trabajadores Ernesto Miranda (Chili)
Workers Solidarity Movement (Irlande)
Federazione dei Comunisti Anarchici (Italie)
Organisation Socialiste Libertaire (Suisse)
Collectif communiste libertaire de Bienne (Suisse)
Alternative libertaire (France)
Coordination des groupes anarchistes (France)
Anarchist Communist Melbourne Group (Australie)
Federação Anarquista Gaúcha (Brésil)
Acción Libertaire Estudiantil (Colombie)
Militantes Sindicales y Sociales por una Corriente Libertaire (Argentine)
Melissa Sepúlveda, président de la Fédération des étudiants de l’Université du Chili (Chili)
Zabalaza Anarchist Communist Front (Afrique du Sud)

Lire l’article original sur le site d’Anarkismo.net.

Le communiqué dans les autres langues : English ; Español ; Italiano ; ελληνικά

[CGA] Fascistes de l’EI, bas les pattes du Rojava ! Solidarité avec le processus révolutionnaire kurde !

Depuis plus de deux ans, le Rojava (Kurdistan syrien), est engagé dans un processus révolutionnaire spécifique. Resté longtemps à l’écart de celui proposé en Syrie car considéré comme trop marqué par l’idéologie panarabe et nationaliste, puis confronté à une contre-révolution interne fasciste et religieux takfiri, le Rojava développe ses propres institutions sociales, chasse les troupes du régime de Bachar, et affronte les forces politico-religieuses ou nationalistes arabes qui tentent de liquider cette dynamique autonomiste.

Se développe alors à une échelle populaire de masse une dynamique d’auto-organisation sociale, économique et politique, fondée sur un projet de « confédéralisme démocratique » incluant la lutte pour l’égalité homme-femme, l’inclusion des minorités religieuses, nationales et sexuelles dans les institutions locales.

Ce projet de confédéralisme démocratique est porté par le la KCK (confédération kurde), alliant mouvement populaire (TEVDEM) et le partis politique PYD, proche du PKK.
Le PKK, initialement influencé par une idéologie marxiste-léniniste posant la question kurde en terme de lutte de libération nationale pour la constitution d’un Etat nation, a évolué sous l’influence de son fondateur, Abdullah Öcalan, vers des positions critiquant la logique nationaliste, la doctrine marxiste-léniniste et son caractère centralisateur.

Influencé par les idées du communiste libertaire américain Murray Bookchin, théoricien du municipalisme libertaire et de l’écologie sociale, il critique la stratégie nationaliste (construction d’un Etat nation) pour lui substituer une stratégie de développement d’institutions locales autonomes, assurant le développement de la culture kurde sans pour autant construire un cadre centralisateur et homogénisateur.

Cette évolution, si elle ne s’est pas faite sans heurts, et reste toujours en butte à certains héritages autoritaires, est d’une grande importance pour la région : elle marque la perspective d’une rupture avec un nationalisme négateur de la diversité culturelle et sociale de la région, avec une idéologie patriarcale et conservatrice religieuse, avec une vision laique et socialiste de la question kurde.
Parallèlement, cette stratégie s’appuie sur le développement d’un mouvement d’autodéfense populaire armé, avec la création de milice (YPG et YPJ) garantissant une large place aux femmes, qui permet l’autodéfense des kurdes, et particulièrement des femmes kurdes, face aux différents régimes et aux fascistes religieux.

Nos camarades anarchistes syrienNEs turcQUEs, kurdes et iranienNEs ne s’y sont pas trompés : ils et elles ont déclaré leur soutien sans réserve à ce mouvement populaire d’autodéfense, qui ouvre une autre voie pour le Moyen-Orient. Quelles que soient les critiques qu’elles et ils  font sur la forme partidaire, sur ce qu’ils et elles estiment être une critique insuffisante de l’institution étatique, elles et ils reconnaissent dans la processus révolutionnaire au Rojava un acquis précieux à préserver, à étendre et à défendre par tous les moyens face aux fascistes religieux, aux manœuvres de l’Etat turc et des impérialismes occidentaux, mais aussi au régime de Bachar El Assad. Cela au nom de l’unité antifasciste et de la solidarité révolutionnaire.

Quant à nous, et pour les mêmes raisons  il nous semble que le mouvement d’auto-organisation populaire kurde mérite tout notre soutien face aux fascistes religieux. Cela passe par la dénonciation de l’hypocrisie des États occidentaux qui continuent de classer le PKK comme « organisation terroriste » tout en tolérant le soutien de l’État turc aux fascistes religieux. Qui instrumentalisent la situation pour alimenter dans leurs frontières une politique raciste, et pour défendre au Moyen-Orient leurs intérêts géostratégiques, en sacrifiant au besoin les populations kurdes.
Des Etats qui voient dans la création d’une « zone tampon » une solution alors qu’il ne s’agit que d’une occupation qui mènerait à son terme la liquidation de l’autonomie populaire au Rojava.
Pour nous cette solidarité se traduit  par notre soutien  aux travailleuses et travailleurs kurdes en lutte  quand ils et elles réclament:

  •  Des armes pour les révolutionnaires kurdes, préservant ainsi leur autonomie politique et leur permettant d’assurer leur autodéfense face aux fascistes et au régime

  •  La fin du classement du PKK comme organisation terroriste par l’UE et l’arrêt de la persécution des militantEs kurdes et des actions de solidarité avec le Kurdistan

  •  L’ouverture d’un corridor pour les combattants kurdes afin qu’ils puissent envoyer des renforts à Kobané

  •  La rupture de toute coopération policière et militaire de l’État français avec l’État turc

Le 21 octobre 2014
Relations Internationales de la Coordination des Groupes Anarchistes

Texte disponible sur http://www.c-g-a.org/content/fascistes-de-lei-bas-les-pattes-du-rojava-solidarite-avec-le-processus-revolutionnaire-kurde

Un message des anarchistes sur place : « La révolution l’emportera à Kobanê ! »

Des camarades de l’Action anarchiste révolutionnaire (DAF) se sont portés au secours de la ville de Kobanê, assiégée par l’État islamique (Daech). Une partie a pénétré dans la ville. D’autres sont restés dans un village sur le territoire turc, Boydê. Ils et elles nous envoient ce message.

De Boydê, le 8 octobre 2014. 24e jour du siège de Kobanê par l’État islamique (Daech). Tandis que, dans tous les villages frontaliers, des militantes et des militants font rempart de leurs corps pour dissuader les attaques, toute la population, dans toute la région, s’est dressée pour empêcher la chute de Kobanê.

Depuis près de trois semaines, nous faisons office de boucliers humains dans le village de Boydê, à l’ouest de Kobanê. Ces deux derniers jours, les explosions et le fracas des armes se sont intensifiés dans les banlieues et dans le centre-ville. En même temps, les soldats turcs ont augmenté leur pression. Toutes celles et ceux qui approchaient la frontière, d’un côté comme de l’autre, ont été ciblés par des grenades lacrymogènes. Le village où nous nous trouvons a subi une attaque de ce type mardi. Plusieurs personnes ont également été blessées par des tirs à balles réelles.


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Chaîne humaine au village de Boydê

Ces attaques sur les villages frontaliers signifient que les hommes de Daech sont, eux, autorisés à franchir la frontière. Le soutien de la République turque à Daech est évident ici. Bien sûr, ce n’est pas seule chose qui est évidente.

Nous avons appris qu’un des commandants de Daech dirigeant l’offensive sur Kobanê a été abattu par les YPG-YPJ [1] Pourtant, les combats n’ont pas diminué en intensité ; ils n’ont presque pas cessé de la journée.

Nous savons à présent que les explosions que nous entendons sont le fait des YPG-YPJ. Les miliciennes et les miliciens ont déserté les rues du centre-ville pour prendre les djihadistes en embuscade et, semble-t-il, cette tactique a fonctionné.

Dans les réunions, au village, certaines rumeurs font sensation. L’une d’elle est la crainte qu’inspirent les combattantes des YPJ aux djihadistes. En effet, Daech incarne l’État, la terreur, le massacre… mais aussi le patriarcat. Et les djihadistes craignent de ne pouvoir être considérés comme « martyrs » s’ils sont tués par une femme. D’où leur peur d’affronter les YPJ. Il faut dire que quand elles les rencontrent, les combattantes sont sans pitié. Cette lutte des YPJ, c’est celle de la liberté contre le patriarcat.

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 Un militant de DAF à Kobanê

Ces deux derniers jours, le soulèvement au Kurdistan et dans les villes d’Anatolie donne un sentiment d’invincibilité du peuple organisé. Ce soulèvement renforce la confiance à Kobanê, dans les villages frontaliers et dans tout le Rojava [2] Chaque fois qu’un frère ou qu’une sœur tombe, notre douleur est vive, mais plus vive encore notre colère et notre détermination. Les cérémonies funèbres qui débutent à genoux se muent rapidement en danses effrénées, le martèlement de nos pas fait trembler la terre et transforme notre peine en une véritable rage.

C’est tout ce dont nous avons besoin ici. Pour la liberté et la révolution que nous espérons, en dépit de tout.

Vive la résistance populaire de Kobanê !
Vive la révolution au Rojava !
Vive l’Action anarchiste révolutionnaire !

(traduction Alternative libertaire)

L’entrée d’Istanbul dans la guerre en Syrie ?

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Quelques remarques sur les événements survenus entre le 7 et le 13 octobre 2014

N’était-ce les de moins en moins fréquentes réunions d’opposants au régime de Bachar Al-Asad, les 200 000 réfugiés de toute condition sociale – des plus démunis aux  plus aisés -, et les enterrements de jeunes Kurdes stambouliotes partis combattre (voir nos éditions du 4 avril et 7 avril 2014), Istanbul semblait jusqu’à ces derniers jours miraculeusement tenu à l’écart de l’atroce guerre qui affecte la Syrie depuis plus de deux ans. Ivre de son exceptionnalité, oublieuse de son environnement régional, la métropole turque a ainsi  poursuivi ses rêves de grandeur, sa frénésie touristique et sa trépidante agitation quotidienne, dans une relative indifférence par rapport à ce qui se déroulait au flanc sud-est du pays.

Cette tranquillité insouciante et cette position préservée ne sont plus de mise après l’appel à « descendre dans la rue pour Kobanê » lancé à l’échelle nationale le 6 octobre 2014 par les partis kurdes présents au Parlement turc (DBP1 et HDP), par la plupart des organisations du mouvement kurde de Turquie – à l’instar du KCK2 -, comme par celles de Syrie affiliées au PKK. Assez soudainement donc, le nom de Kobanê – érigé en symbole de la résistance kurde à l’État islamique… en Syrie, puis de la résistance à l’AKP en Turquie, par un effet  de contamination – a commencé à se faire entendre dans les rues d’Istanbul.

Les formes prises par les mobilisations de rue en soutien ou solidarité à la résistance de Kobanê à partir du 6 octobre ont varié, de la conférence de presse, autorisée ou non, à la manifestation de rue, en passant par des concerts de rue en solidarité. Nous ne retiendrons ici que celles qui ont donné lieu à des actes de violence, à des affrontements physiques ou armés, avec dégâts humains ou matériels : affrontements avec les forces de sécurité, affrontements entre jeunes Kurdes décidés à porter l’insurrection (Serhildan en kurde) à Istanbul et « partisans » de l’État islamique (İŞİD en turc), descentes sur des bâtiments abritant des institutions jugées partisanes, dégradation de véhicules publics ou de mobilier urbain… Ceci dit, il faut se méfier des actes de violence à enjeux très locaux qui semblent avoir pris pour prétexte cette grande crise, à l’exemple de ce qui paraît s’être produit à Şahintepe/Başakşehir en septembre 20143. En effet, on constate que dans plusieurs quartiers périphériques où les projets de transformation urbaine sont fortement contestés par la population habitante – à l’instar de Kanarya dans l’arrondissement de Küçükçekmece -, des violences perpétrées ces derniers jours contre des opposants locaux notoires de ces projets ont saisi comme prétexte l’affrontement « Partisans de l’État islamique » / « Partisans de la résistance kurde syrienne/turque4 ». Prudence donc ; il faut éviter les lectures trop rapides à partir des seules appartenances opportunément revendiquées ou assignées. Pour revenir aux répertoires d’action déployés, le blocage des voies routières et autoroutières est devenu un mode d’action à part entière non sans risques5 qui entraîne une  « sortie du quartier » et conduit à une délocalisation de l’expression par rapport aux foyers de population.

Quatorze des trente-neuf arrondissements d’Istanbul ont été affectés par ces manifestations violentes. Les principaux lieux d’affrontement correspondent – Beyoğlu et Kadıköy mis à part – à des zones urbaines non consolidées, caractérisées par des concentrations kurdes de formation récente mêlées à d’autres présences migrantes (Esenyurt, Sultanbeyli, Sultangazi, Arnavutköy). Soit des territoires périphériques caractérisés par de fortes tensions sur les marchés du travail et du logement, autrement dit des bassins d’emplois précaires où l’économie du bâtiment et  l’économie textile  – toutes les deux massivement non-déclarées – prédominent largement. Esenyurt, où des blessés graves8 étaient déplorés dans la nuit du 8 au 9 octobre 2014, fait partie des rares arrondissements – avec Sultanbeyli et Arnavutköy), où le DBP/HDP a obtenu plus de 10% des suffrages exprimés lors des deux dernières élections locales de mars 2009 et de mars 2014 (Fig.1 & Tab. 2). Rappelons que c’était déjà à Esenyurt, jeune arrondissement institué en 2008, par ailleurs tristement célèbre pour ses accidents du travail dans le secteur du bâtiment, que des violences avaient endeuillé la  campagne électorale de mars 2014.

fig1

Si l’on compare avec les mouvements sociaux de l’époque de Gezi (fin mai-juin 2013), il apparaît que les périphéries sociales et spatiales ont été beaucoup plus actives pour Kobanê que pour Gezi, même si certains territoires d’action privilégiés des organisations d’extrême gauche (comme Gazi, Okmeydanı, Gülensu/Gülsuyu et Nurtepe) se sont aussi distingués au moment de Gezi. Mais ces territoires sont des lieux d’opposition chronique : les mobilisations qui s’y déroulent de façon presqu’endémique ne sont médiatiquement visibles que quand Istanbul est par ailleurs le théâtre de manifestations et mouvements de rue.

Beyoğlu est à mettre à part. Le cœur de l’arrondissement en tout cas (on ne parle pas de ses marges, Örnektepe ou Okmeydanı), malgré les injonctions de la police, fonctionne encore comme la principale scène métropolitaine d’expression de l’opposition politique, tout au long de l’avenue İstiklâl, de la place Tünel à la place Taksim, via la « place » du lycée Galatasaray, près de la poste du même nom, qui est encore un des spots les plus affectionnés pour les déclarations de presse (basın açıklaması). Dans une moindre mesure la place du quai de Kadıköy et le lieu-dit Altıyol (ou Boğa) remplissent une fonction équivalente pour la rive anatolienne et le centre de Kartal pour la périphérie anatolienne.

Du point de vue de la configuration des acteurs de ces protestations violentes et violemment réprimées on a vu principalement, d’un côté les jeunesses urbaines du PKK – regroupées sous la bannière YDG-H (Mouvement des Jeunesses Révolutionnaires Patriotes9), organisation apparue en 201310 – et, de l’autre, des groupes liés à l’AKP et des sympathisants du HÜDA PAR11, une formation kurde islamique affichant plus ouvertement son opposition radicale  au PKK et au HDP que son soutien à l’État Islamique. Très organisés (en « Forces de sécurité » pour le YDG-H ou son équivalent féminin le YDGK) et actifs dans l’est et le sud-est du pays, ces acteurs ont donc émergé aussi pleinement sur le théâtre stambouliote.

Cependant, il faudrait pouvoir aller au-delà de cette polarisation. En effet, si du « côté kurde », pour simplifier, les acteurs mobilisés sont à peu près placés sous la même bannière – avec cependant des différences locales selon l’implication des formations d’extrême gauche, la collaboration entre formations du mouvement kurde et ces dernières n’étant pas toujours harmonieuse, loin de là -, la composition des « partisans de l’État islamique » varie en fonction des terrains concernés. A Bağcılar, Arnavutköy ou Sultanbeyli par exemple, il semble que les manifestants kurdes se soient heurtés à des membres (souvent d’origine kurde eux-mêmes) de différentes confréries, fondations et associations liées de près ou de loin au Hüda Par. En revanche à Esenyurt les militants kurdes ont trouvé devant eux plutôt des ultra-nationalistes et à Zeytinburnu12 des ultra-nationalistes aussi, appuyés par quelques Afghans, Turkmènes et Kazakhs stipendiés, tout dévoués à la cause turque/turciste. Dans tous les cas, les petits commerçants soutenus par les pouvoirs locaux (AKP voire CHP), les polices municipales et la police ont conclu des alliances tactiques ou de facto avec ceux qui s’opposaient aux manifestations de rue perçues comme une menace pour le bon ordre des affaires.

Les manifestations de rue ont en outre revêtu une incontestable dimension de classe, beaucoup plus nette qu’au moment de Gezi. On a ainsi vu à Esenyurt, Beylikdüzü et Halkalı les travailleurs du secteur du bâtiment – migrants kurdes en partie – descendre dans la rue pour protester, opérant une jonction entre des revendications relatives à leurs conditions de travail et de rémunération et le drame de Kobanê.

Compte tenu du répertoire d’action de groupes comme le YDG-H – cocktails Molotov, destruction de lieux ou d’instruments « symboles » d’un système honni -, la criminalisation de l’ensemble des manifestants par les autorités locales et nationales et par une grande partie de la presse (même celle de la cemaat) a été immédiate. Et même si le 9 octobre 2014 le secrétaire général du HDP s’est employé à rappeler que son appel du 6/10 à descendre dans la rue n’était pas un appel à la violence et au vandalisme, l’amalgame semble fait. L’esprit du processus de paix insufflé fin 2012 paraît avoir déserté aussi Istanbul.

Si l’on met à part les scènes politiques urbaines habituelles, les lieux d’affrontements correspondent à des zones d’immigration récente et mêlée – où il est aisé de monter un groupe de précaires contre d’autres-, à des bassins d’emploi précaire (textile et bâtiment), et des zones d’implantation ancienne d’organisations de gauche radicale.  Par conséquent, toute comparaison avec le(s) soulèvement(s) de Gezi semble inadéquate. La sociologie est différente – les beaux quartiers ne sont pas descendus dans la rue pour Kobanê comme ils l’ont fait pour Gezi -, la composante alévie très nette au moment de Gezi semble ici pour l’instant mineure. A l’échelle de la Turquie les mobilisations pour Kobanê se révèlent notablement plus populaires et massives que celles pour Gezi ; à l’échelle d’Istanbul, si l’on note quelques convergences entre Gezi et Kobanê du côté des organisations professionnelles et syndicales (la confédération KESK ayant appelé le 9 à faire grève), des organisations féministes, étudiantes et d’extrême gauche, ce sont d’autres groupes sociaux et d’autres organisations qui ont émergé dans la rue. Mais les composantes socio-démocrates nationalistes (CHP, DSP, TGB), comme les composantes d’extrême gauche nationaliste (İşçi Partisi ou TKP), à la pointe des soulèvements de Gezi sont là totalement absentes13.

Au total, sur les plus de 120 personnes placées en garde à vue suite aux affrontements des jours précédents dans le département d’Istanbul dix-neuf ont été conduites devant le procureur le 13 octobre 2014. La tension n’en demeure pas moins grande dans quelques zones urbaines – avec une dimension anti-Alévis surajoutée à Sarıgazi/Sancaktepe – et l’on peut craindre que les enterrements de jeunes volontaires des deux camps morts au combat en Syrie ne donnent lieu à des débordements. L’entrée d’Istanbul dans le temps et les affres de la guerre en Syrie et aux frontières sud-est du pays, ne s’est pas opérée de manière aussi violente que dans l’est du pays (le 13 octobre on dénombre plus de 40 personnes décédées dans l’ensemble du pays, dont une à Istanbul14). Elle  s’est réalisée de façon spatialement discontinue et intermittente.  Istanbul fonctionne donc comme une sorte de caisse de résonance fragmentée, qui répercute, relaie, diffracte, amplifie, réinterprète sélectivement et en même temps étouffe et déforme tout ce qui affecte l’ensemble du territoire et du corps national, et, dans une moindre mesure, tout ce qui affecte les pays de la région.

Même s’il faut garder raison et rappeler que la très grande majorité de la population d’Istanbul n’a entendu parler de ces événements qu’à la télévision ou par les réseaux sociaux, le fait de (re)voir l’armée déployée dans la rue (comme à Esenyurt, le 8 octobre), plus de trente ans après la période du coup d’État de septembre 1980, ne manque pas de laisser perplexe sur la « Nouvelle Turquie ». Et la violence de certaines altercations dans la presse nationale – des journalistes de quotidiens pourtant « modérés et libéraux », sombrant dans l’injure, se permettant de lancer de véritables appels au lynchage de confrères ou de responsables de formations politiques légales – ne fait qu’ajouter aux tensions et au trouble.

  1. En juillet 2014 le DBP (Parti des Régions Démocratiques) a remplacé le BDP (mai 2008-avril 2014) comme parti légal du mouvement kurde. Il coexiste au Parlement turc avec le HDP fondé en octobre 2012. []
  2. Koma Civakên Kurdistan ou Union des communautés du Kurdistan, cette institution créée en 2005 est censée, au-delà et au-dessus du PKK, préparer la gestion politique de l’ensemble du Kurdistan. []
  3. Sur ces petites affaires locales qui se déguisent derrière de grandes causes internationales : İrfan Bozan, “1 mahalle, 2 cinayet” : (URL : http://www.aljazeera.com.tr/al-jazeera-ozel/1-mahalle-2-cinayet) (dernière consultation : 09 10 2014). []
  4. Voir : “Le problème ce n’est pas Kobanê, c’est la Transformation Urbaine”, Taraf, 13 octobre 2014, p. 2.  []
  5. On se rappelle la mort de Mehmet Ayvalıtaş, jeune manifestant issu du quartier Mustafa Kemal (Ümraniye) le 2 juin 2013, alors qu’il participait au blocage du trafic sur l’autoroute qui surplombe le quartier. []
  6. Voir : http://haber.sol.org.tr/soldakiler/emek-gencligi-uyesi-mert-degirmenci-yasamini-yitirdi-haberi-98449 (dernière consultation, 10 10 2014). []
  7. Voir : http://www.bestanuce1.com/haber/138373/kanarya-mahallesinde-provokasyon-endisesi&dil=tr (dernière consultation, 10 10 2014). []
  8. Voir Taraf, 10 octobre 2014, p. 2. []
  9. Le YPG-H a même réitéré un appel à la révolte/insurrection (Serhildan en kurde) le 14 octobre en début d’après-midi. Voir : http://www.bestanuce1.com/haber/139928/serhildan-atesi-gurlestirilmeli (dernière consultation, 14 10 2014). []
  10. Voir sa page twitter : https://twitter.com/YDG_HKomutan []
  11. “Parti de la Cause Libre” (Hür Dava Partisi) dont il faut lire “Parti de Dieu” la contraction généralement utilisée “Hüda Partisi”. Ce parti légal, qui semble bénéficier de la protection bienveillante de l’AKP, est, quand on considère la trajectoire de ses dirigeants, un avatar du Hezbollah,  une formation illégale sanguinaire utilisée par les forces de sécurité et certaines composantes de l’appareil d’État pour assurer les sales tâches contre les militants du mouvement kurde au cours des années 1990. A propos du Hezbollah, voir le Dossier de l’IFEA de Gilles Dorronsoro (n°17) de mars 2004 : (URL : http://www.ifea-istanbul.net/dossiers_ifea/Bulten_17.pdf ). Par ailleurs, le site Internet du parti Hüda est sans ambiguïté quant à sa position sur le conflit syrien ; voir le rapport en ligne : http://hudapar.org/Detay/Haber/951/tarihi-sureciyle-suriye-siyaseti-ve-tikanan-arap-bahari.aspx (dernière consultation, 09 10 2014). []
  12. On rappellera que l’arrondissement de Zeytinburnu a été le théâtre de violences antikurdes caractérisées durant l’été 2011. Voir le rapport circonstancié produit par l’Association des Droits de l’Homme (İHD) : http://www.ihd.org.tr/index.php/raporlar-mainmenu-86/el-raporlar-mainmenu-90/2411-ozelrapor20110803.html (dernière consultation : 10 10 2014). []
  13. Ces derniers jours, les quotidiens Sözcü, Aydınlık et Cumhuriyet – très anti-AKP -, se sont objectivement, face à  la « menace kurde », rangés du côté du discours de l’ordre et de l’intégrité territoriale porté par l’AKP. Il en va de même des quotidiens de la cemaat, Zaman et Bugün. []
  14. Pour un premier bilan le 14 octobre au matin, voir : http://www.bestanuce1.com/yazdir.php?id=139818 (dernière consultation : 14 10 2014). []

Article vue sur http://ovipot.hypotheses.org/10558

Le consensus, la clé du nouveau système au Rojava

Après la révolution au Rojava commencée en Juillet 2012, le système de justice syrien est devenu obsolète. Évidemment, le peuple le mouvement politique qui le soutenait, ont rejeté l’appareil de sécurité, les représentants politiques de l’Etat, et les agences de renseignement, mais ils ont également rejeté le représentant de la justice et les ont viré.
Tout aussi important que la suppression du régime dictatorial du Baas a été, la question a été de savoir à quoi une nouvelle forme de justice pourrait ressembler. Dans toute société qui n’est pas encore totalement libérée de la domination (sociale ou entre les sexes), pas encore tout à fait émancipée, ce qu’on appelle des crimes, même à un faible niveau, auront lieu, et en particulier dans le contexte de guerre – conflits, violence, le vol , auxquels la cité doit s’affronter.

Le nouveau système de justice qui a été élaboré par des Comités « paix et consensus ». Certains d’entre eux avaient déjà été formé dans les années 1990 par des militants politiques de la gauche kurdes dans les villes syriennes à majorité kurde soutenant cette tendance. Encore aujourd’hui, ils ont pour tâche tâches d’assurer la paix sociale dans leur quartier ou dans la localité et de prendre des mesures contre la criminalité et l’injustice sociale. Sous le régime du Baas ces comités agissaient de manière souterraine – l’Etat les considérant comme une atteinte au monopole de la justice –, et fonctionnaient en parallèle avec le système de justice existant. Malgré la répression accrue après 2000 et surtout après 2004, ils ont continué à exister, mais en plus petit nombre et sans pourtant concerner la majorité de la population kurde.

Après la libération des localités de Rojava à l’été 2012, les lieux qui avaient déjà eu cette expérience avec les comités « paix et consensus » n’ont pas été bouleversés rendu confus quand il s’est de régler les différends dans les affaires civiles et pénales. Les comités existants ont sont restés en place pour les questions de justice et, là où ils étaient absents, ils ont vite été construits selon le modèle déjà existant.

La structure du système de justice

Pour décrire la structure du système de justice dans Rojava, nous devons étudier ce qui s’est développée au cours des deux dernières années. Une fois les villes et les villages libérés le 19 Juillet 2012, les conseils de justice régionale (en kurde, diwana Adalet) ont été mis en place dans les différentes régions à l’initiative de la TEV-DEM [le Mouvement de la société démocratique], qui a organisé les organes exécutifs du Conseil des peuple du Kurdistan de l’Ouest (MGRK), dans tout Rojava ; Le système de conseil des MGRK a été la force décisive qui a conduit la révolution. Les conseils de justice ont engagés des juges, des avocats, des procureurs, des juristes et d’autres qui avaient rompu avec le système en place. Les conseils populaires étaient également membres des comités de « paix et de consensus ». Ces conseils de justice ont depuis été cruciaux pour la construction d’un nouveau système de justice.

Les trois régions majoritairement kurdes ont récemment été nommés cantons ; le plus grand des trois est Cizîre. Son conseil de justice, qui compte onze membres, représente plusieurs conseils de district ; les conseils de justice dans Afrin et Kobanê ont sept membres chacun. (Apparemment pas beaucoup de gens sont assis sur ces comités importants.) Ces conseils de justice coordonnent avec les conseils du peuple et sont responsables devant eux; après des discussions dans les conseils populaires de grande envergure, ils ont fondé le nouveau système de justice.

Au niveau le plus bas du nouveau système de justice créé dans les villages, les quartiers, et parfois même les rues, on trouve les comités « paix et consensus » qui résolvent les cas sur la base du consensus. S’il s’avère qu’ils ne peuvent pas le faire, le cas est repris au niveau suivant. Les cas difficiles comme les assassinats, il faut le dire, ne sont pas pris en charge par les comités « paix et consensus », mais sont traités directement aux niveaux supérieurs.

Au niveau communal les comités « paix et consensus » ont une double structure. Les comités généraux sont responsables de conflits et de crimes; Les commissions de femmes sont responsables de cas de violence patriarcale, de mariage forcé, de polygamie. Ils sont directement rattachés à l’organisation des femmes Yekitiya Star [l’Union de la femme].

Au niveau supérieur, dans la grande ville de chaque région, on trouve les tribunaux populaires (dadgeha gel) qui ont été réanimés par les conseils de la justice. Leurs juges membres (dadger) peuvent être désignés par les conseils de justice ou par quiconque dans la région. Les conseils populaires au niveau régional (comme Séré Kaniye, Qamişlo, Amude, Derik, Heseke, Afrin, Kobanê) donnent des conseils sur les nominations, et parmi elles sept personnes sont élus pour chaque zone. Les candidats n’ont pas à être des juristes et contrairement à d’autres systèmes de justice, certains d’entre eux n’ont de liens antérieurs avec la Justice. Il est considéré comme beaucoup plus important que les personnes nommées comme juges soient ceux qui peuvent représenter les intérêts de la société.

Les autres niveaux du système de justice de Rojava sont un peu comme ceux des autres pays.

A l’issue d’une décision du Tribunal du peuple, l’une des parties peut la contester et porter l’affaire devant la cour d’appel (dadgeha de istinaf). Rojava ne compte quatre tribunaux, deux à Cizîre et un à Kobanê et à Afrin. A ce niveau, les juges doivent être des juristes.

Au niveau suivant, ceux qui souhaitent intenter une action ont à leur disposition le tribunal régional (dadgeha de neqit) ; il est seul à couvrir l’ensemble des trois cantons.

Enfin, il ya une cour constitutionnelle (dadgeha de hevpeyman), dont les sept juges décident que le contrat social – qui a été adopté au début de l’année en guise de constitution – et autres lois importantes soient observées dans d’autres décisions du gouvernement . Dans chaque région, les avocats de personnes (dizgeri) ainsi que d’autres procureurs travaillent dans l’intérêt public.

Au sommet du système juridique est le parlement de la justice (meclisa de Adalet) ; chacun des trois cantons a un. Chaque parlement de justice est composée de 23 personnes : trois représentants du ministère de la Justice, nouvellement fondée en Janvier 2014 ; onze des conseils de justice ; sept de la Cour constitutionnelle, et deux de l’association du barreau. Un membre du parlement de la justice parle publiquement. Cette configuration contient une différence encore plus importante avec les systèmes de justice traditionnels : avec trois représentants seulement le gouvernement de transition a peu d’influence légal.

Les parlements de justice ont la responsabilité de s’assurer que le système juridique réponde aux besoins de cette société en évolution rapide et en voie de démocratisation. Leur priorité est la reconstruction du système de justice. C’est encore squelettique, et de nombreux détails pratiques et n’ont pas été discutés ni décidés. Le système juridique à l’énorme devoir de d’établir de nouvelles bases légales dans le cadre du contrat social, mais il doit également se référer aux lois syriennes existantes, tant que les nouvelles lois ne concernent pas encore la totalité de la question. Pourtant, de nouvelles lois ne doivent pas être mis au point dans tous les domaines.

Toute loi, règlement ou directive et sont immédiatement analysés ; les éléments non démocratiques sont rayés et remplacés par de nouveaux jugés nécessaires nécessaire. Les trois cantons considèrent qu’ils existent dans le cadre de l’Etat syrien, mais avec un régime démocratique. Si une transformation démocratique n’est pas possible, une nouvelle loi pour la zone touchée sera créé.

En outre, les parlements de justice se penchent sur les questions techniques et administratives en suspens.
Jusqu’à présent, le travail dans les parlements de la justice s’est déroulé avec de nombreuses discussions, mais leurs membres n’ont eu de profonds désaccords, c’est du moins ce qu’ils disent. Compte tenu de la nécessité de construire un système judiciaire qui fonctionne assez rapidement, il n’y a pas eu beaucoup de temps pour des discussions approfondies qui ont dûes être reportée aux années à venir, quand la paix sera venenue comme nous l’espérons.

Formation du personnel

A la mi-2013 dans Qamişlo, une académie pour les juristes des trois cantons de Rojava a été fondée. C’était nécessaire parce que le nouveau système de justice nécessite au moins plusieurs centaines de professionnels et de personnel. Chaque cours d’éducation de base des études est de quatre mois. En mai 2014 deux groupes de trois douzaines de personnes chacune ont terminé la première unité. Après avoir passé des examens à la fin de quatre mois, les élèves peuvent commencer à travailler dans le nouveau système de justice. Mais leur formation ne s’arrête pas là, ils retournent à l’académie à intervalles réguliers pour une formation continue, pendant de nombreux mois et plus. Cette période de quatre mois relativement courte a été instituée seulement en raison du grand besoin de professionnels. Une meilleure formation des néos-juristes est en cours de discussion.

Résultats du nouveau système juridique

Il va sans dire que le nouveau système a aboli la peine de mort. La peine d’emprisonnement à vie (la durée maximale est temporairement fixé à 20 ans) peut être prononcée que dans les cas d’assassinat, de torture, ou de terreur. Jusqu’à maintenant cela ne s’est passé que deux fois dans Cizîre : pour un homme qui a assassiné une femme d’une manière barbare, et pour un homme qui a torturé et assassiné un membre des forces de sécurité (appelé Asayiş).

Dans Rojava, l’arrestation est considéré comme le dernier recours. Et selon les principes du système juridique, la personne arrêtée doit être considérée non pas comme un criminel, mais comme une personne à réhabiliter. Par prison, on entend des établissements d’enseignement et une fois que les moyens seront disponibles ils devront être transformés en centres de réadaptation et ne seront pas des institutions punitives. Les commissions juridiques de Rojava sont particulièrement concernés par la question des conditions de détention. Un membre du conseil de justice nous a expliqué : « Nous avons déjà privé les prisonniers de leur liberté ; nous ne voulons pas de les punir davantage avec les conditions de détention « .

Dans les deux dernières années, en raison du nouveau système de justice et en particulier de la plus grande auto-organisation du peuple dans les communes et les conseils, le nombre de crimes a diminué lentement, bien que des chiffres fiables soient encore difficiles à à être établis. Ils sont concentrés dans les périphéries urbaines. Dans le sud du Kurdistan, les dits crimes d’honneur restent monnaie courante, mais en Rojava, en particulier à cause du travail du mouvement des femmes, ces crimes ont sensiblement diminué.

Les comités de paix et de consensus

La différence la plus fondamentale entre le système de justice de Rojava et les systèmes de justice dans d’autres types d’États – capitalistes, socialiste-réels, parlementaires, dictatoriaux –, est l’existence des comités « paix et de consensus » au niveau local et les rôles qu’ils jouent dans la structure du conseil.

Les membres de « paix et consensus » sont nommés par les conseils populaires. Au niveau de la commune (la structure organisationnelle à la base du système de MGRK, composée de 30 à 150 ménages), tous les résidents participent à une assemblée et élisent les membres. A l’étage suivant de l’organisation, la communauté de district ou de village (autour de 7 à 10 villages), les comités « paix et de consensus » choisis par les conseils du peuple se réunissent avec les délégués des communes. Les niveaux plus élevés dans le système de conseils n’ont pas de comités « paix et consensus ».

Le système de conseil en Rojava a été construit au début de la révolution en Syrie il y a trois ans ; à partir de là, les comités de « paix et consensus » sont nés au niveau du district et de la communauté du village. À partir de 2012, avec l’émergence des communes, les comités de « paix et de consensus » ont été élus à ces niveaux les plus bas. La plupart des communes n’ont pas autorité sur ces comités.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, les premiers comités « paix et consensus » ont été construits dans les années 1990, bénéficiant la structure de MGRK. Sans cette expérience de longue date, il aurait été beaucoup plus difficile de construire ces comités si rapidement dans d’autres endroits. Les années de quinze et plus d’expérience ont été très précieux.

Chaque comité de la paix et de consensus est généralement constitué de cinq à neuf personnes, avec un quota de genre de 40 pour cent. Les élus sont généralement ceux qui sont considérés comme ayant la capacité de désamorcer par la discussion les parties en conflit. La plupart ont plus de 40 ans.

Les procédures des comités ne sont pas précisées par écrit dans les moindres détails ou même dans leur intégralité. Règles et principes se sont développés dans la pratique au fil des ans et dans une certaine mesure sont transmis verbalement.

Les membres « paix et consensus » ne doivent pas être compris comme des magistrats traditionnels, car ils sont élus démocratiquement et avec la parité entre les sexes. Un élément important est que les conseils et le mouvement politique qui sous-tendent la construction des comités se réfèrent aux conseils des anciens de la société traditionnelle. Les conseils des anciens n’existent plus guère aujourd’hui, ils ont disparus dans les années 1960 et 1970. Rojava s’est identifié à ces institutions traditionnelles, mais en les imprégnant des valeurs de son contrat social : démocratie de conseils, libération des genres, les droits de l’homme. En intégrant et en remplaçant les conseils traditionnels des anciens, ils constituent un pont de compréhension entre tradition et révolution.

La structure parallèle des commissions de femmes et Yikitiya Star devrait garantir que les structures et juridictions féodales n’ont plus aucune poids dans les cas de violence patriarcale. Dans ce contexte, les femmes sont la force motrice.

L’objectif des comités « paix et consensus », quand il s’agit de jurisprudence, n’est pas de condamner l’une ou l’autre parties dans un procès, mais plutôt de parvenir à un consensus entre les parties en conflit. Si possible, l’accusé n’est pas mis à l’écart si une peine est prononcée, ni enfermé, mais on fait comprendre que son comportement a conduit à l’injustice, aux dommages et aux blessures. Si nécessaire, cela entraîne une longue discussion. Parvenir à un consensus entre les parties est un résultat qui mènera à une paix plus durable.

Sur le long terme c’est un grand avantage pour la société locale qui favorise la paix et un rapprochement entre les groupes et les individus. La solidarité et la cohésion sociale se développent dans ce terreau qui a été l’expérience de deux années de révolution dans Rojava. Aujourd’hui, dans les communes et les localités, si la majorité des gens se comportent solidairement, sont capable de créer des coopératives et de prendre des décisions ensemble, c’est en partie parce que le travail des comités de paix et de consensus a été couronnée de succès.

Que les comités sont acceptés par la société et bénéficient d’un grand respect se voit aussi dans le fait que de plus en plus de personnes d’autres groupes ethniques se tournent vers eux, avec leurs problèmes. Il ne faut pas oublier qu’un grand nombre d’Arabes vivent dans des villes de Rojava.

Un autre indicateur des effets positifs de ces comités est le fait que là où ils sont bien organisés, les querelles et les disputes entre les individus, les familles et les groupes diminuent lentement comme les crimes, en particulier le vol, qui sont en déclin.

Cet article a été écrit par Ercan Ayboğa, et a été publié dans le Kurdistan rapport, Septembre-Octobre 2014; http://bit.ly/Konsens_entscheidend. Traduit par Janet Biehl. Une version abrégée de cet article est paru en Août 2014, le magazine TOA, no. 4, publié par le bureau de service pour Täter-Opfer-Ausgleich und Konfliktschlichtung; http://www.toa-servicebuero.de.

Emission de radio de Zapzalap sur la situation en Syrie

Depuis le 6 octobre, face à l’offensive de lʼÉtat islamique (Daesh) équipé de matériel militaire moderne grâce aux pétromonarchies du Qatar ou d’Arabie Saoudite, les combattant-Es de la ville syrienne de Kobanê résistent quartier par quartier et rue par rue aux djihadistes, à quelques kilomètres seulement de la frontière turque. La Turquie, alliée historique des occidentaux, bloque sa frontière aux nouveaux combattant-Es qui veulent se rallier à la résistance contre Daesh. La population de Kobanê ne peut compter ni sur les États de la région ni sur les États occidentaux dans sa lutte contre lʼÉtat islamique.

Pour comprendre cette contre révolution patriarcale de lʼÉtat islamique et les résistances qui y font face, zapzalap vient de mettre en ligne sa dernière émission.

Montage fait à partir du débat organisé samedi dernier à la bibliothèque occupée de l’Insoumise à Lille.

Contre le patriarcat, révolution sociale !

A bon entendeur

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