Kobanê, la lutte des Kurdes et les dangers qui la guettent

Cet article datant du 19 octobre 2014 est repris du site Serpent – Libertaire où il a été publié avec un commentaire préalable. Nous vous invitons à le lire en actualisant avec les dernières informations qui nous parviennent du Rojava.

Préambule :

Depuis que cet article a été publié, les djihadistes ont lancé de nouvelles offensives grâce à l’arrivée de nouveaux renforts, dont de nombreux kamikazes qui se font exploser en se jetant sur les positions des combattants kurdes au volant de camionnettes piégées. Les États-Unis ont accentué leur aide à coups de bombardements et aussi pour la première fois par le largage d’armes, de munitions et d’équipements de secours aux combattants kurdes et non kurdes qui défendent la ville.

Depuis, Erdoğan a été obligé de faire évoluer sa position en autorisant l’arrivée de renforts… mais à condition qu’ils n’appartiennent pas à la gauche kurde. C’est pourquoi des peshmergas du Kurdistan irakien, gouverné par le parti conservateur PDK de Barzani, devraient faire leur entrée dans Kobanê, alors que des milliers de Kurdes de Syrie sont prêts à se battre.

Pendant ce temps, dans les monts de Sinjar (dans le nord de l’Irak), des milliers de Kurdes yezidis qui y avaient trouvé refuge, sont en ce moment même encerclés par les djihadistes équipés de véhicules blindés Humvees qui ont lancé depuis lundi dernier (20 octobre) une nouvelle offensive… Deux zones résidentielles situées dans la plaine ont été prises par l’EI, forçant des milliers de civils à fuir de nouveau dans la montagne. Les volontaires des milices YBŞ (Yekineyen Berxwedanê Şengalê – Unités de résistance de Sinjar), épaulés par les HPG (Forces de défense du peuple, du PKK) annoncent avoir tué une vingtaine de djihadistes au cours de très violents combats et ont lancé des appels d’alerte et de mobilisation. Des renforts devraient là aussi être envoyés très vite…

La bataille de Kobanê a modifié beaucoup de choses en très peu de temps et se traduit maintenant par une nouvelle alliance assez inédite entre les forces de la gauche kurde et la principale puissance impériale au monde. Les deux n’avaient probablement pas le choix, compte tenu de leur situations et objectifs respectifs.

Le point sur les raisons de cette entente, au départ purement opérationnelle, et sur les dangers que recèlent ces derniers développements.

Serpent Libertaire le 22 octobre 2014 – Publié par Patrick Granet

Kobanê, la lutte des Kurdes et les dangers qui la guettent

par Jelle Bruinsma, le 19 octobre 2014

Alors que l’EIIL a été chassé de Kobanê, les dangers que représentent les prérogatives impériales des États-Unis menacent les ambitions kurdes pour l’autonomie démocratique.

Maintenant que divers rapports confirment que les hommes et les femmes kurdes incroyablement courageux ont réussi à tenir la ville de Kobanê et même à chasser les fascistes de l’EIIL, il est temps de réfléchir. Comment ont-ils réussi à repousser l’EIIL ? Pourquoi les États-Unis se sont-ils plus fortement impliqués ? Et quels dangers peuvent surgir à partir de maintenant ?

Il y a deux semaines, les indomptables Unités de défense du peuple (YPG) avaient rendu publique une déclaration de défi [voir document en annexe] qui soulignait le sens de leurs « responsabilités historiques », promettant que « la défaite et l’extinction de l’EIIL débuteront à Kobanê. Chaque rue, chaque maison de Kobanê seront une tombe pour l’EIIL ». Beaucoup ont admiré le courage des Kurdes. Des camarades turcs et d’ailleurs ont même essayé de se joindre à la défense de Kobanê et des campagnes ont été lancées à travers le monde pour recueillir de l’argent pour eux.

Mais, il y avait probablement peu d’outiders pour croire vraiment que l’assaut meurtrier de l’EIIL pourrait être arrêté, quand plusieurs articles publiés défendaient que Kobanê était pratiquement tombée. Ceci fut dû en grande partie à la position criminelle et intransigeante de la Turquie qui consista à bloquer les lignes d’approvisionnement kurdes, et au manque d’intérêt des États-Unis pour ce qui – selon leurs calculs impériaux – était une ville stratégiquement sans importance.

Deux semaines plus tard, la situation semble avoir été totalement renversée, avec l’EIIL qui semble battre en retraite et un responsable kurde déclarant qu’« il n’y a plus d’EIIL dans Kobanê maintenant », bien que les combats se poursuivent dans la partie est de la ville. Au cours de ces mêmes semaines, les États-Unis ont intensifié leurs bombardements aériens sur les positions de l’EIIL dans et en hors de Kobanê, et ont engagé pour la première fois des pourparlers directs avec le Parti de l’union démocratique kurde (PYD). Le commandant kurde des YPG a quant à lui déclaré que « sa milice avait reçu des armes, des fournitures et des combattants ». Même s’il n’a pas révélé de plus amples informations, des journalistes se trouvant dans la ville turque de Suruç, à 15 kilomètres de la frontière de Kobanê, ont semble-il « rencontré des combattants qui faisaient la navette ». Cela est sans doute redevable à une connaissance intime de la région de la part des combattants, mais un ‟ Turc bien placé”, a déclaré à la BBC « que des fournitures avaient en effet été autorisées à traverser la frontière ».

Comme l’avait indiqué un précédent article de ROAR il y a deux semaines, si Kobanê était tombé, les États-Unis et la Turquie en auraient porté la responsabilité. Les deux États ont le pouvoir et la capacité militaire d’arrêter l’EIIL et de l’empêcher d’atteindre la ville. En outre, et plus important encore, différents rapports semblaient prouver que la Turquie a activement aidé l’EIIL sur plusieurs plans :

1.- en permettant aux combattants de l’EIIL blessés de recevoir un traitement médical dans les hôpitaux turcs, et de repasser en Syrie pour rejoindre le combat ;

2.- en permettant à l’EIIL de traverser la frontière et de vendre du pétrole tiré des gisements qu’il contrôle sur le marché noir de la Turquie, une donnée d’une importance financière considérable pour l’EIIL ;

3.- en bloquant les forces expérimentées du PKK et en les empêchant de pénétrer en Syrie pour aider à défendre Kobanê et combattre l’EIIL, et même en bloquant les approvisionnements en armes et autre fournitures nécessaires ;

4.- la semaine dernière, et là c’est encore plus grave, en réactivant son engagement dans la guerre contre ses propres Kurdes lorsqu’elle a bombardé des positions du PKK dans la région sud-orientale de Dağlıca.

Bien que l’ensemble de ce qui précède demeure, la politique et les calculs impériaux sont complexes et reflètent la nécessité de défendre des intérêts divers et contradictoires. Dans le cas de Kobanê, il est évident que la Turquie était bien heureuse de laisser l’EIIL frapper un grand coup contre les forces kurdes, et potentiellement de massacrer des milliers de Kurdes. Elle a également cherché à obtenir comme contrepartie de réorienter la pression internationale sur la formation d’un nouveau front contre le régime d’Assad de Syrie. Les États-Unis, aussi, étaient parfaitement heureux de laisser ces ‟victimes indignes” mourir et ont déclaré clairement que Kobanê n’avait aucune importance pour eux.

Qu’est-ce qui a changé cette situation ? Bien que les États-Unis accordent encore la priorité à la lutte contre EIIL en Irak, où ils ont beaucoup plus d’intérêts économiques et leur réputation à défendre, ils ont augmenté leurs attaques aériennes sur l’EIIL autour de Kobanê, probablement en coordination avec les Kurdes. Les Kurdes de la région se sont naturellement réjouis de ces frappes aériennes américaines sur les positions de l’EIIL, et d’ailleurs depuis le début la résistance kurde avait appelé à des frappes aériennes plus nombreuses et plus efficaces.

Deux raisons me semblent expliquer l’implication accrue des États-Unis.

Tout d’abord, les forces YPG-PKK bien formées se sont révélées être les adversaires militaires les plus efficaces de l’EIIL, même en tenant compte de leur infériorité numérique et en armement. Alors qu’en Irak, l’armée – malgré une décennie de formation par les États-Unis et un armement sophistiqué – s’est débinée à la simple vue des combattants de l’EIIL, les forces YPG-PKK ont prouvé leur ‟valeur” pour la deuxième fois, après être venus à la rescousse des yézidis d’Irak. Comme les États-Unis ne veulent pas mettre les « bottes sur le terrain », car leurs alliés régionaux n’ont pas fait montre d’un engagement sérieux à ce jour, et comme leur campagne aérienne est vouée à l’échec, ils ont besoin d’alliés qui soient déterminés à combattre l’EIIL.

Deuxièmement, les États-Unis aident Kobanê pour des « raisons de propagande », selon les mots du rédacteur de la BBC spécialiste de diplomatie et de défense, Mark Urban. Comme dans tout bon réseau mafieux, dans les relations internationales, tout repose sur la réputation. Avec les États-Unis ayant annoncé qu’ils allaient « affaiblir et finalement détruire » l’EIIL, et avec les yeux du monde posés sur Kobanê en raison de la bravoure encore endurcie des combattants kurdes et de l’activisme de leurs partisans partout dans le monde, un massacre à Kobanê aurait porté un coup à la crédibilité des États-Unis. Kobanê « est plus un symbole qu’un atout stratégique, mais sa perte renforcerait le sentiment que l’EIIL est imparable », ajoute l’analyste militaire de la Brookings Institution, Michael O’Hanlon.

Les Kurdes ont maintenant été contraints à une alliance stratégique apparemment inévitable, mais dangereuse, avec les États-Unis. Inévitable, car ils étaient dépassés en armement par l’EIIL et qu’ils avaient besoins d’armes sophistiquées avec eux pour bloquer l’EIIL et créer un espace de respiration. Dangereuse, parce que les intérêts et les intentions des Kurdes sont diamétralement opposés à ceux des États-Unis, ce que les savent parfaitement. Les tentatives des Kurdes de créer des zones démocratiques autonomes sont tout autant une menace pour les intérêts impériaux des États-Unis que pour l’EIIL. La pierre angulaire de la politique des États-Unis au Moyen-Orient a toujours été le soutien à des régimes stables qui peuvent réussir à bloquer tous les appels à la démocratie ou au contrôle national sur les ressources naturelles du pays. En ce sens, la comparaison des Kurdes avec les anarchistes espagnols de 1936 que fait David Graeber tient la route : bien que les anarchistes combattaient également des fascistes, l’ensemble des grandes puissances occidentales se sont opposées à eux et ont bloqué l’envoi des armes, avec un Churchill célèbre pour avoir préféré les fascistes aux anarchistes ou communistes.

À la lumière de la coopération YPG-États-Unis, il est utile de rappeler une histoire plus contemporaine, celle de la trahison de chiites et des Kurdes d’Irak en 1991.

C’était en 1991, mais cela aurait tout aussi bien pu être en 2014, qu’un diplomate européen avait noté que « les Américains préfèreraient avoir un autre Assad, ou mieux encore, un autre Moubarak à Bagdad ». Ce fut au cours de la première guerre du Golfe, lancée parce que l’ancien allié Saddam Hussein avait désobéi aux ordres américains en envahissant le Koweit. L’attaque étatsunienne contre l’Irak avait créé un espoir parmi les Kurdes et les chiites opprimés, espoir renforcé par Bush qui les encouragea ouvertement à se soulever contre Saddam Hussein, donnant ainsi l’impression que les États-Unis les appuieraient. Mais les incertitudes devant un Irak post-Saddam ont conduit les États-Unis à décider de maintenir Saddam au pouvoir. Au cours des semaines les plus terribles de l’histoire irakienne, les Etats-Unis – qui contrôlaient alors totalement l’espace aérien irakien – n’ont rien fait et ont permis à Saddam Hussein de briser la zone d’exclusion aérienne contrôlée par les États-Unis et d’utiliser des hélicoptères de combat pour réprimer les soulèvements et massacrer les civils kurdes et chiites.

Les Kurdes n’ont pas besoin qu’on leur rappelle ces faits. Leurs familles ont vécu à travers eux et d’autres trahisons impériales. Dans le même temps, ils n’ont pas de temps à perdre avec des philosophes occidentaux qui, depuis leurs fauteuils, condamnent toute coopération avec des bombes étatsuniennes – et à juste titre. C’était leurs vies qui étaient directement en jeu.

Mais cette nouvelle situation n’est pas sans poser d’énormes difficultés. Le fait que les États-Unis continuent à placer une plus grande importance sur l’Irak que sur Kobanê et que le commandant de l’armée américaine au Moyen-Orient, Lloyd Austin, vendredi dernier [17 octobre] pensait encore « fort possible » que Kobanê finisse par tomber aux mains de l’EIIL, soulève de sérieuses questions. Combien de temps les États-Unis continueront-ils à aider la résistance par des frappes aériennes ? Qu’est-ce qu’il se discute dans les pourparlers de haut niveau entre les représentants du PYD et département d’État des États-Unis ? Qu’est-ce que les Etats-Unis vont essayer d’‟obtenir” des Kurdes ? Une coopération plus active dans la lutte contre l’EIIL ? En échange de quoi ?

Une réponse a été donnée aujourd’hui [19 octobre] dans la déclaration du Commandement général des YPG. Dans cette dernière, ils confirment avoir conclu une entente avec l’Armée syrienne libre (ASL), le groupe qui a combattu le régime tyrannique d’Assad avec un certain soutien de l’Occident. Ils confirment également que l’ASL se bat à leurs côtés dans Kobanê et qu’à partir de maintenant ils vont coopérer dans « lutte contre le terrorisme et à la construction d’une Syrie libre et démocratique ». Il s’agit d’un changement significatif dans la stratégie puisque cela implique non seulement de combattre d’EIIL, mais aussi Assad – une demande-clé de la Turquie – et qui, en outre, se base sur un « véritable partenariat pour l’administration de ce pays » avec toutes ses « classes sociales » [voir la déclaration complète en annexe].

Est-ce là le prix que les YPG de gauche a dû payer pour que s’ouvrent des lignes d’approvisionnement ? C’est une question ouverte sur ce que cela signifie pour la révolution sociale dans le Rojava.

Il n’est pas improbable, par exemple, que les lignes d’approvisionnement à travers les frontières turques aient été secrètement tolérées par la Turquie en raison de la pression des États-Unis et/ou de l’accord qui a été conclu avec l’ASL. Elles peuvent aussi être coupées. Les frappes aériennes étatsuniennes peuvent également s’interrompre et les considérations impériales peuvent changer. La liste de ceux qui, par nécessité ou par choix, ont collaboré avec les puissances impériales mais qui ensuite les ont laissé mourir est infinie. La triste réalité est que les empereurs modernes peuvent encore décider de qui vit et de qui meurt.

Comme les Kurdes en sont conscients, à long terme, la coopération avec les États-Unis est incompatible avec leurs propres ambitions et aspirations à une région et une société libérée de toutes les formes d’oppression. Mais savoir s’il existe d’autres options à court terme est une question pertinente. Même pour l’approvisionnement continu en armes lourdes indispensables et la libre circulation de leurs forces, ils sont dans une large mesure tributaires des préférences des maîtres impériaux.

Cette fois, grâce à leur bravoure, ils forcé la main impériale et sont en mesure de poursuivre leur combat. Mais qu’en sera-t-il demain ? La Turquie a été pendant des décennies l’un des principaux alliés régionaux des États-Unis, et même si les États-Unis ont besoin maintenant des Kurdes, ce sera au mieux une alliance temporaire.

Pour nous, Occidentaux qui nous plaçons en solidarité avec nos camarades kurdes, il est essentiel de poursuivre la pression sur nos propres États, de faire que les yeux du monde restent fixés sur Kobanê et sur la lutte kurde dans son ensemble. Plus que cela, nous devons soutenir ouvertement les appels des YPG pour que des armes leur soient fournies et exiger que le PKK soit retiré de la monstrueuse ‟liste terroriste”. Coincés entre le marteau et l’enclume, les Kurdes au bout du compte ne peuvent compter sur eux-mêmes. Plus grande sera leur liberté de se déplacer, mieux armés ils seront, plus grande sera leur capacité de protéger la révolution sociale dans le Rojava et, aussi, de combattre l’EIIL.

le 19 octobre 2014

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Jelle Bruinsma est doctorant-chercheur en histoire à l’Institut universitaire européen et collaborateur de ROAR Magazine.

ROAR (« Rugissement »), Reflections on a Revolution

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Source : Kobanê, the Kurdish struggle, and the dangers lurking ahead

Traduction : XYZ/ OCL ( http://oclibertaire.free.fr/ )

Annexes :

L’EIIL ne rentrera jamais à Kobanê

(Firat News Agency)

Vendredi 3 octobre 2014.

Le commandement général des YPG (unités de protection du peuple) a publié une déclaration sur les affrontements en cours dans la ville de Kobanê.

Le commandement des YPG a nié les rapports selon lesquels les bandes de l’EIIL seraient entrées à Kobanê, soulignant que « ce rêve de certains cercles ne se réalisera pas. La défaite et l’extinction d’EIIL débuteront à Kobanê. Chaque rue, chaque maison de Kobanê seront une tombe pour l’EIIL ».

Le commandement des YPG a déclaré que les bandes de l’EIIL ont lancé une nouvelle vague d’attaques le 15 septembre pour occuper Kobanê et continuent à attaquer sur les trois fronts de Kobanê, utilisant des armes lourdes et de l’artillerie dans le but d’avancer.

« En tant qu’YPG, nous allons assumer nos responsabilités historiques, peu importe dans quelles circonstances et possibilités, de la même manière que nous avons protégé les peuples et les valeurs d’Efrin à Jazaa dans le Rojava depuis trois ans », indique le communiqué. YPG a promis que « le peuple kurde et leurs amis ne devraient pas être inquiets, Kobanê ne tombera jamais. Il n’est pas possible, en aucune façon, d’entrer dans Kobanê qui sera le témoignage de la résistance du siècle dernier et sera une tombe pour EIIL ».

Le commandement des YPG s’est également engagé à « déclarer la victoire du Kurdistan Ouest et de la Syrie Libre et Démocratique dans le monde entier ».

Le commandement général des YPG a terminé la déclaration en faisant appel à tous les jeunes du Kurdistan, et à tous les jeunes épris de liberté et d’égalité, pour qu’ils rejoignent leurs rangs afin d’assumer leurs responsabilités historiques et de se joindre à la lutte pour l’humanité contre les attaques sauvages des bandes de l’EIIL.

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Déclaration du Commandement général des YPG sur Kobanê et la lutte contre l’EIIL

Le 19 octobre 2014.

Déclaration du Commandement général des YPG

Aux médias et au grand public,

Cela fait 33 jours que la ville de Kobanê se bat contre le terrorisme en des jours tourmentés de résistance, de rédemption et d’énormes sacrifices dans la lutte contre les attaques terroristes de l’EIIL et de ses démons. Pour cette organisation qui est devenue la plus grande menace pour la paix et la stabilité mondiale, la bataille de Kobanê constitue un tournant historique. Nous sommes certains que son issue va façonner l’avenir de la Syrie et de la lutte démocratique pour la liberté et la paix. Nous voulons faire savoir que la victoire de Kobanê sera une victoire pour toute la Syrie, et qu’elle sera également une défaite majeure pour l’EIIL et le terrorisme.

La résistance que nous avons démontrée, nous les Unités de défense du peuple (YPG) et les factions de l’Armée syrienne libre (ASL) est la garantie pour vaincre le terrorisme d’EIIL dans la région. La lutte contre le terrorisme et la construction d’une Syrie libre et démocratique a été la base de l’accord que nous avons signé avec les factions de l’ASL. Comme nous pouvons le voir, la réussite de la révolution dépend de l’évolution des relations entre toutes les factions et les forces du bien dans ce pays.

Nous affirmons que nous, les YPG, nous allons prendre toutes nos responsabilités à l’égard du Rojava et de la Syrie en général. Nous allons travailler à consolider le concept d’un véritable partenariat pour l’administration de ce pays en rapport avec les aspirations du peuple syrien avec toutes ses religions, ethnies et classes sociales.

Nous confirmons également qu’il existe une coordination entre nous et d’importantes factions de l’ASL dans les régions d’Alep, d’Afrin, de Kobanê, et de Jazia. Actuellement, des factions et plusieurs bataillons de l’ASL se battent à nos côtés contre les terroristes de l’EIIL.

Commandement général des YPG

19 octobre 2014

Reportage sur Kobanê avec l’Action Anarchiste Révolutionnaire

Nous reproduisons ici un interview réalisé par la revue anarchiste turque Meydan à des membres de l’Action Anarchiste Révolutionnaire (DAF) qui témoignent sur les actions de solidarité réalisées à la frontière avec le kurdistan et sur l’expérience révolutionnaire au Rojava.

Traduit du Turc par Kara Ördek.

Meydan : Il est évident qu’on ne peut pas nier la réalité, à savoir que les politiques opportunistes du capitalisme mondial et de la République Turque se trouvent derrière les tentatives d’attaque de Kobanê depuis 2 ans. Nous nous sommes entretenus sur la Révolution au Rojava et de la résistance de Kobanê, avec Abdülmelik Yalçin et Merve Demir, membres de l’Action Anarchiste Révolutionnaire (DAF), solidaire avec les populations de la région, et présents à Suruç (ville des réfugiés au bord de la frontière turco-syrienne) depuis le premier jour de la résistance, afin de lutter contre ceux qui veulent faire de l’ombre à la révolution populaire.
Vous avez réalisé pas mal d’actions depuis la résistance de Kobanê. Vous avez publié des affiches et des tracts. A part cela, vous avez joué un rôle actif en réalisant des chaines de boucliers humains, à Suruç et dans les villages près de la frontière de Kobanê. Quel était votre objectif en allant à la frontière ? Pouvez-vous nous raconter ce que vous y avez vécu ?

MD : Parallèlement à la Révolution au Rojava, la fracture entre les populations qui se trouvaient au Kurdistan, sur la frontière turco-syrienne. La République Turque a même essayé de construire un mur pour casser les effets de la révolution (au Rojava sur la population kurde de Turquie).  Pendant qu’en Syrie se déroulait des guerres d’opportunisme du capitalisme mondiale et des pays avoisinant, au Rojova, le peuple Kurde a fait un pas de plus vers la révolution populaire. Ce pas a servi à l’ouverture d’un vrai front pour la liberté des peuples. Regardant ce qui se passait particulièrement à Kobanê, et dans tout le Rojova, en tant qu’anarchistes révolutionnaires, il nous était impossible de ne pas nous intégrer à ce processus. Être solidaire avec les peuples qui résistaient à Kobanê, est un point assez important, dans une conjoncture où les frontières des pays disparaissent. Nous étions au 15ème mois de la Révolution de Rojova. Pendant ces 15 mois, nous avions été très actifs, organisant un grand nombre d’actions unitaires, et réalisé de nombreuses affiches et tracts. Lors des dernières attaques contre la révolution de Kobanê, parallèlement à nos travaux d’affiches et tracts, nous avons organisé beaucoup d’actions de rue dans divers quartiers. Mais il nous était nécessaire d’être présents à la frontière de Kobanê, pour saluer la lutte pour la liberté du peuple Kurde, et contre les attaques des gangs de l’EI qui sont de purs produits de violence. Nous sommes partis d’Istanbul, le soir du 24 septembre vers la frontière de Kobanê. Rejoindre nos camarades qui nous ont précédés. Nous avons commencé à former un bouclier humain, dans le village de Boydê, situé à l’Ouest de Kobanê. Comme nous, des centaines de volontaires venus de divers endroits de l’Anatolie, de la Mésapotamie, formaient ce bouclier humain, tout le long de la frontière de 25km, dans des villages comme Boydê, Bethê, Etmankê, Dewşan.

L’un des objectifs de ces boucliers humains, était d’empêcher les aides d’armement, de renforts en hommes, et de logistique de la République Turque dont le soutien à l’Etat Islamique était connu de tous. Avec ces veilles qui durent encore aujourd’hui, la vie dans les villages de la frontière s’est transformée en une vie communautaire, malgré les conditions de guerre. Un autre objectif de nos veilles de boucliers humains était également d’intervenir pour le passage et le soutien du peuple de Kobanê qui a été obligé de fuir les attaques qui ciblaient Kobanê, mais qui se faisait bloquer et devait attendre aux passages frontaliers durant des semaines, subissant de temps à autre les attaques des gendarmes. Les premiers jours de notre garde, avec ceux qui venaient d’Istanbul nous avons coupé les grillages de la frontière et nous sommes passés à Kobanê.

Pouvez-vous nous raconter ce que vous avez vécu après votre arrivée à Kobanê ?

AY: Dès  notre passage à la frontière, nous avons été accueillis avec un grand enthousiasme. Dans les villages à la frontière de Kobanê, toute la population était dehors, de 7 à 77 ans. Les combattants de l’YPG (unités combattantes de l’armée populaire) et YPJ (unités combattantes féminines) ont tiré en l’air, debout sur les toits, dans des rues, pour saluer le fait que nous anéantissions les frontières. Nous avons fait une marche dans les rues de Kobanê. Puis nous avons discuté avec le peuple de Kobanê et les combattants YPG/YPJ qui défendent la révolution. C’est très important de traverser, de cette façon, les frontières mises par les Etats entre les peuples. Cette action a été réalisée en pleine guerre.

Il y a eu beaucoup d’informations sur les attaques faites par la gendarmerie et la police sur les populations à la frontière et sur les veilles de bouclier humain. Par ces intimidations, quel est l’objectif de la République Turque ?

A.Y.: Oui, L’Etat turc a continuellement une politique d’attaque contre les paysans de la frontière et les habitants de Kobanê qui essayent de traverser. Parfois les attaques sont multipliées, et parfois elles durent des jours. Chaque attaque a un prétexte et il est évident que chacune d’elle a un objectif bien particulier. Nous avons observé que quasiment à chaque attaque de gendarmes, il y avait des transferts de véhicules par la frontière. Nous ne savons pas le contenu de ces véhicules qui fournissent l’EI (Etat Islamique). Mais nous pouvions le deviner en faisant le parallèle avec l’intensité des attaques, s’il s’agissait de renforts humains, d’armes ou encore parfois de vivres pour subvenir aux besoins quotidiens de l’EI. Ces transferts se faisaient parfois par des véhicules qui portaient des immatriculations officielles, et d’autres fois par des gangs de « contrebandiers » soutenus par l’Etat.  De plus, ces gangs soutenus par l’Etat, extorquent les biens des habitants de Kobanê qui attendent à la frontière. Et la gendarmerie, à la frontière, donne un droit de passage moyennant une commission d’environ 30%. Les politiques de l’Etat envers les populations de la région fonctionnaient déjà de cette façon, depuis de longues années. Mais prétextant les conditions de guerre ces politiques sont devenus encore plus visibles. Cette visibilité et les attaques ont pour but d’intimider les gardes de bouclier humain et les peuples frontaliers.

Même si l’Etat turc le niait, l’existence et le fonctionnement du soutien à l’EI étaient relativement connus. Mais vous dites que lors de ce processus sa participation a pris des proportions largement observables. C’est à dire l’existence d’un environnement où l’Etat ne cache plus son soutien. Comment fonctionne le soutien de la République Turque à l’EI ?

M.D.: La République turque a nié son soutien à l’EI, avec insistance. Mais ironiquement, à chaque intervention de négation, un nouveau transfert était organisé à la frontière. La plupart de ces organisations étaient d’une grande visibilité. Par exemple, des véhicules différents, laissaient à la frontière, et à plusieurs reprises, des « paquets de secours ». Nous avons été témoins de passage de dizaines de « voitures de service » à vitres fumées passer la frontière à la Porte de Mürşitpinar (ville turque frontalière syrienne). Personne ne se demande ce qu’il y a dans ces voitures car nous savons tous que tous les besoins de l’EI sont satisfaits par cette voie.

daf

Pourriez-vous nous parler de l’importance actuellement historique de l’appropriation de la Résistance de Kobanê et de la Révolution au Rajova, surtout dans ce processus, pour les anarchistes révolutionnaires ?

A.Y.: Il ne faut pas penser la Révolution au Rojova et la Résistance à Kobanê séparément de la lutte pour la liberté  que le peuple Kurde mène depuis des dizaines d’années. La lutte pour la liberté du Peuple Kurde, a été lancée comme un problème dont la source viendrait du peuple et non de l’Etat, et pendant des années, elle a été qualifiée sur les terres où nous vivons de « Problème Kurde ». Nous tenons à le répéter à nouveau, ceci est la lutte du peuple Kurde pour la liberté. Il y a un seul problème ici, et c’est le problème de l’Etat. Le peuple Kurde mène un combat d’existence contre la politique ségrégationniste et destructive exercée depuis des siècles par les pouvoirs politiques successifs dans cette région. Avec le slogan « PKK est le peuple, le Peuple est ici », le sujet politique  prend forme chez chaque personne une par une, et l’identité de la force organisée est claire. Depuis qu’avec cette perception, nous avons concrétisé la lutte, dans différentes zones, de l’individu à la société, la relation que nous avons bâtie avec le peuple Kurde et l’organisation du peuple Kurde est une relation de solidarité mutuelle. Cette relation solidaire, est une relation que nous avons fondée en regardant par le prisme de la lutte pour la liberté des peuples. Dans les luttes pour la liberté, le mouvement anarchiste a été toujours un déclencheur. Dans une période où le socialisme ne pouvait pas sortir du continent européen, alors qu’une théorie comme « Le droit des peuples à disposer d’eux mêmes » n’existait pas encore le mouvement anarchiste s’est habillé des luttes pour la liberté des peuples dans différents endroits du monde. Pour comprendre cela, il faut regarder l’effet de l’anarchisme sur les luttes populaires dans un éventail large, de l’Indonésie au Mexique. De la révolution au Rojava,au combat des Zapatistes du Chiapas, les luttes des peuples pour la liberté ne correspondent pas aux descriptions des luttes nationales classiques. Parce qu’il est évident que concept de « nation » est lié à l’Etat. C’est pourquoi les luttes entreprises par les peuples pour s’organiser sans Etat doivent être étudiées en dehors de la notion « nationale ». Cependant, nous ne faisons pas la démarche de considérer la Résistance de Kobanê par des rapprochements avec d’autres processus historiques. Certains groupes font des renvois à d’autres processus historiques et leurs trouvent des ressemblances avec la Résistance de Kobanê. Mais il faut bien comprendre que la Résistance de Kobanê, c’est la Résistance de Kobanê ; et la Révolution au Rojava, c’est la Révolution au Rojava. Si on tient absolument à faire des parallèles avec la Révolution du Rojava, mais en regardant par le prisme d’une révolution populaire, dans ce cas, il faut aller regarder du côté de la révolution populaire de la péninsule ibérique.

Même si la Résistance à Kobanê se fait près de la frontière de l’Etat turc, de nombreuses actions et manifestations de solidarité on été faites au quatre coins du monde. Comment interprétez-vous les effets de la Résistance de Kobanê, ou, en vérité, la Révolution au Rojava, avant tout sur l’Anatolie, et bien sûr au Moyen Orient et dans le reste du monde ? Quels sont vos prédictions sur ces effets ?

 M.D.: Les appels au « serhildan » (terme turc spécifique désignant les nombreux mouvements populaires d’insurrection kurde contre l’Etat turc depuis les années 90’ sur le slogan « Edi Bese » : Assez !) ont d’abord trouvé réponse dans les villes d’Anatolie, à commencer par les villes du Kurdistan. Dès le premier soir, les populations ont salué la Révolution au Rojava et la Résistance de Kobanê qui combat l’EI assassin et son soutien à l’Etat turc. L’Etat a commencé par attaquer les « serhildan » avec les forces des milices paramilitaires (nota : groupuscules d’extrême droite fomentés par l’Etat turc). Lors de ce processus de « serhildan » l’Etat qui terrorise les rues du Kurdistan, à travers les contra-hizbul, a assassiné 43 de nos frères. Ces assassinats sont le signe de la peur de l’Etat turc de la Révolution au Rojava, et du fait que cette révolution survienne dans ses terres. Une autre peur du capitalisme mondial et de l’Etat turc qui attaque dépité par crainte, est bien sur ; le Moyen Orient. Malgré tant de pillages, de violences, une révolution populaire a pu exister dans le Moyen Orient. Et cela met sens dessus dessous les plans du capitalisme mondial. Un grand chamboulement, car malgré les conditions de guerre, malgré toutes les carences, une révolution populaire a pu fleurir à Rojava. Cette révolution est la réponse apportée à tous les doutes sur la possibilité d’une révolution dans cette région et partout dans le monde, et a consolidé la foi en la révolution chez les peuples de la région et dans le monde. De toutes façons, le but de toutes les révolutions populaires dans l’histoire est de donner naissance à une révolution sociale qui se mondialise. Dans cette perspective nous avons fait un appel à solidarité adressé à l’anarchisme mondial, pour la Résistance de Kobanê et la Révolution au Rojava. Suite à notre appel, les anarchistes de partout dans le monde ont réalisé des actions, en Irlande, en Allemagne, Bruxelles, Amsterdam, Paris, New York… Nous saluons par cette occasion toutes les organisations anarchistes qui ont entendu notre appel et qui ont organisé des actions, qui sont descendues dans la rue, ainsi que celles qui nous ont rejoint à la frontière pour des gardes de bouclier humain.

Depuis le premier jour des attaques de l’EI, Les médias, surtout celles soutenues par l’Etat turc, ont fait couler beaucoup d’encre, en annonçant que Kobanê était sur le point de tomber. Mais depuis un peu plus d’un mois, elles semblent avoir enfin compris que Kobanê n’est pas tombée et ne tombera pas. En tant que journal Meydan, nous saluons votre solidarité avec Kobanê. Voulez-vous ajouter quelque chose ?

M.D.: Nous, anarchistes révolutionnaires, avons vu encore une fois la foi inébranlable en la révolution sur des terres qui vivent dans des conditions de guerre, nous l’avons vécu, nous le vivons. Ce qui se passe au Rojava est une révolution populaire ! Cette révolution, où les frontières disparaissent, les Etats deviennent inefficaces, les plans du capitalisme mondial sont détruits, se socialisera sur notre géographie. Nous appelons tous les opprimés qui sont dans les quatre coins de notre géographie, à regarder par la fenêtre des opprimés, avec cette conscientisation, à agrandir la lutte organisée pour la révolution sociale. C’est la seule solution pour faire vivre dans des géographies plus larges la révolution sociale dont les fondations se sont bâties au Rojava. Vive la Résistance de Kobanê ! Vive la Révolution au Rojava !

Source :  Meydan (la place), gazette mensuelle anarchiste.
http://meydangazetesi.org/gundem/2014/10/devrimci-anarsist-faaliyet-ile-kobane-uzerine-roportaj-dehaklara-karsi-kawayiz/